Notre autre morale darwinienne

Vous trouvez que je vous parle beaucoup d'évolution ces temps? Eh bien ce n'est pas seulement parce que c'est une année Darwin, ni uniquement parce que les liens entre la biologie de l'évolution et l'éthique sont incompris. Non, en comprenant mieux comment marche la sélection naturelle, on peut ... mieux aider nos semblables!

Cet autre lien entre la biologie de l'évolution et la bioéthique (ici celle de la santé publique) est expliqué dans la conférence enregistrée ici. Paul Ewald y explique comment, si l'on pose les bonnes questions, on peut quasiment en venir à 'domestiquer les bactéries'. Comment faire un truc pareil? Actuellement, lorsqu'un micro-organisme nous cause du mal, soit on le tolère (quand on n'a pas le choix, ou qu'il est bénin, ces deux conditions s'appliquent au rhume par exemple), soit on prend des antibiotiques. En d'autres termes, on lui tape dessus.

Mieux comprendre les mécanismes de sélection naturelle qui opèrent sur les micro-organismes permet de faire quelque chose de plus subtil: leur tirer le tapis sous les pieds. Ou en tout cas tirer le tapis sous les pieds de leur capacité à nous rendre gravement malades. Comme point de départ, deux postulats tous simples. Si vous êtes une bactérie ou un virus, et que vous dépendez de la mobilité de votre hôte pour être transmis, vous serez mieux transmis si vous ne causez pas une maladie trop grave. Une personne très malade ne bouge pas beaucoup, pour vous c'est un problème. Par contre, si vous ne dépendez pas de sa mobilité, alors vous vous porterez mieux si vous exploitez davantage les ressources de votre hôte, quitte à le rendre très très malade. S'il ne bouge pas, pour vous ce n'est pas grave. Comment cela s'applique-t-il aux maladies humaines? Deux exemples pour illustrer ça.

La malaria est un excellent exemple d'une maladie qui n'a pas besoin que l'hôte humain ne bouge. Les moustiques s'en chargent avec une efficacité redoutable. Ici, le modèle évolutionniste prédit que si l'on coupe l'accès des moustiques aux personnes très malades, la pression de sélection se mettra à favoriser les parasites qui laissent les gens assez bien pour vaquer à leurs occupations. Comment faire ça? En bloquant aux moustiques l'accès aux habitations. Les moustiques vont alors piquer surtout des personnes valides. Dans les années 30 aux États-Unis, ça a même été fait. Et vous savez quoi? Ca marche! La maladie devient plus bénigne en l'espace de quelques années, et sa prévalence chute: bingo.

La diarrhée infectieuse est un peu plus compliquée. Là, la maladie est typiquement transmise soit de personne à personne, soit par de la nourriture contaminée, soit par l'eau. Et le mode de transmission change la pression de sélection. Pour transmettre par voie directe ou par la nourriture, il faut plutôt pouvoir bouger. Pour transmettre par l'eau, non. La description, je sais, est un peu graphique, mais tôt ou tard quelqu'un portera votre linge à la rivière, et les agents infectieux en profitent. Quelles prédiction peut-on en tirer? Eh bien que si la transmission par l'eau est facile, la maladie sera plus virulente. Et si l'on coupe la transmission par l'eau, elle le sera moins. Bien involontairement, cette 'expérience' a même eu lieu durant le cours de l'épidémie de choléra El Tor en Amérique du Sud. Et devinez quoi? Dans les pays où l'eau est mieux protégée, l'épidémie s'est adoucie avec le temps. Dans les pays où l'eau se contamine beaucoup, la virulence, au contraire, a augmenté. Non seulement on diminue le nombre de victimes en sécurisant l'eau, mais en plus les malades sont moins malades.

Le lien avec l'éthique?
C'est que tant que ces mécanismes restent méconnus, ou inappliqués, nos stratégies peuvent être non seulement moins efficaces, mais parfois carrément délétères. Prenons l'exemple de la diarrhée. Si l'on traite le choléra avec des antibiotiques sans protéger l'eau, que va-t-il se passer? On va sélectionner des souches plus virulentes, simplement en laissant ouverte la voie de transmission par l'eau. Et l'on va aussi sélectionner des souches résistantes aux antibiotiques. Si par contre on sécurise l'eau, on va non seulement diminuer la gravité de la maladie, mais aussi faire reculer la résistance aux antibiotiques. Après tout, plus les malades sont malades et plus on aura tendance à leur en donner. Si la maladie s'adoucit par contre, on en prescrira moins, et la résistance reculera. Une parfaite occasion pour améliorer, par des outils biologiques, notre manière de faire face à des maladies graves et négligées. Quelle erreur de ne pas les utiliser davantage...

L'affiche qui illustre ce message montre d'ailleurs à la fois où nous avons progressé et où, non. OK, on sait désormais que ce n'est pas l'eau froide, mais l'eau non bouillie qui est un danger. Pas les légumes et les fruits verts, mais ce qui ne remplit pas les règles standard 'boil it, cook it, peel it, or forget it'. Que les courants d'air ne transmettent pas ces germes.
Ne pas prendre de traitement sans avis médical, par contre, ça reste de rigueur. Et l'autre chose qui n'a pas changé, malheureusement, c'est l'attention que l'on offre aux démunis. Aujourd'hui, si ces épidémies frappent surtout des pays pauvres, c'est en partie parce que justement elles sont favorisées par le manque d'infrastructures de bases comme l'eau courante propre, ou des moustiquaires aux fenêtres. A l'époque déjà...vous avez vu ce qui est écrit en bas de l'affiche? Vous n'arrivez pas à lire? Dans la plus petite écriture, il est indiqué que 'Un traitement et des conseils médicaux sont disponibles pour les pauvres à tout heure du jour et de la nuit en se présentant à la station de chaque unité'. C'est minuscule. Un hasard? Mince, sans doute non...Et dans une épidémie, encore davantage qu'habituellement, c'est vraiment pas malin.

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Viva la evolución

Si la théorie de l'évolution reste largement incomprise alors même qu'elle est devenue la langue maternelle de la biologie actuelle, c'est un peu parce que trop souvent on ignore à la fois ce qu'est l'évolution...et ce qu'est une théorie. Si le sujet vous intéresse un tant soit peu, allez vite lire l'excellent dossier que vient de publier la revue Campus (c'est le journal de l'université de Genève).

Je ne vais pas vous le résumer. C'est en ligne, les articles sont courts, ils sont tous excellents: allez voir. Pour ceux qui auraient besoin de plus d'encouragement, voici déjà les titres:


'Nous cherchons du sens là où il n'y en a pas'

'Lire l'évolution dans les gènes'
'Le créationisme a débarqué en Europe'
'Le "darwinisme social" est une contradiction'
'Rien de tel qu'une extinction de masse pour doper la biodiversité'
'Et Dieu créa Darwin'

Bon, je vous ai dit que je n'allais pas résumer, mais je vais quand même commenter la photo. Un des mythes démystifiés par le dossier est l'idée, très répandue mais fausse, que l'évolution représente un progrès. En fait, l'évolution représente...une évolution! Pas de direction, pas de plan, pas d'amélioration inhérente si ce n'est dans l'adaptation à un milieu donné, à une époque (assez longue, soit) donnée. Que change le milieu, et ce qui était jusqu'alors utile ne le sera plus nécessairement.

Pour ceux qui veulent en lire davantage, je précise aussi que le dernier article est un entretien avec Pascal Engel, traducteur en français de 'Darwin est-il dangereux?'. Ce livre semble malheureusement épuisé en traduction mais il reste disponible en anglais ici.

Voilà pour l'évolution.

Alors est-ce une 'théorie'? Oui! Mais pas au sens où l'entendent ceux qui voudraient n'y voir 'qu'une théorie'. La différence? Elle est expliquée dans cette vidéo. C'est même rare de voir ça expliqué si clairement.

Il y a en fait une troisième raison pour laquelle la théorie de l'évolution est incomprise
: la crainte qu'elle ne signe la fin de la morale humaine, de sociétés justes, des valeurs qui nous importent. Ce point est abordé dans l'article consacré à ce qu'on a appelé, en fait à tort, le 'darwinisme social'. C'est une des qualités du dossier que d'avoir abordé, de front, aussi cette question-là.

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Un monde plus beau que nos rêves?

Comme nous parlions justement de théocratie, je me suis rappelé qu'on reproche souvent à la compréhension scientifique du monde de manquer de sens du merveilleux. De poésie. D'empathie. De morale (ça j'en ai déjà parlé). En bref d'humanité. Je n'ai probablement pas besoin de prendre de gants avec les personnes qui viennent lire ici mais, si je vous me passez l'expression, foutaises que ces critiques.

D'abord, vous avez vu cette photo? Et puis je me suis dit que tiens, aujourd'hui j'allais vous fais une traduction. D'un vrai scientifique.

"Nous allons mourir, et cela fait de nous ceux qui ont de la chance. La plupart des gens ne mourront jamais, parce qu'ils ne seront jamais nés. Les personnes potentielles qui auraient pu être ici à ma place -mais qui ne verront en fait jamais la lumière du jour- sont plus nombreuses que les grains de sable du Sahara. Certainement, parmi ces fantômes sans vie, des poètes plus grands que Keats, des scientifiques plus grands que Newton. Nous savons cela, car l'ensemble des personnes rendues possibles par notre ADN dépasse si massivement l'ensemble des personnes existantes. Au nez et à la barbe de stupéfiantes probabilités contraires, c'est vous et moi, si ordinaires, qui sommes ici. "


C'est du Richard Dawkins. Pur sucre. On ne le présente plus, mais pour ceux pour lesquels ce serait encore un inconnu les deux conférences qui sont ici ('Le monde est-il plus étrange que nous ne pouvons l'imaginer?') et ici ('L'athéisme militant') valent le détour. Aller, pour les inconditionnels il y en a encore une ici.

Un peu plus loin:

"(...) Après avoir dormi au travers de cent millions de siècles, nous avons finalement ouvert nos yeux sur une planète somptueuse, étincelante de couleurs, débordante de vie. A bout de quelques décennies seulement, nous devons les refermer. Qui, sachant cela, ne bondirait pas de son lit, impatient de continuer à découvrir le monde, et heureux d'en faire partie?"

Bon. Vous je sais pas, mais moi je sais tout cela et il m'arrive malgré tout -et régulièrement, attention- d'avoir du mal à me lever le matin. Navrée, Richard. Si c'était censé être une conclusion, elle ne tient empiriquement, disons, qu'incomplètement la route.

Mais on lui pardonne, n'est-ce pas (même ça on sait aussi le faire). Car son cœur est au bon endroit, non?

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Twitter: #Iranelection

Si vous n'avez pas encore été regarder la 'mer de vert' virtuelle, vous êtes en train de rater quelque chose. Quelque chose d'important? Sans doute. Deux semaines que les élections iraniennes ont été truquées, deux semaines que le thème #iranelection reste en tête des conversations sur Twitter. Ce mélange de communication directe, de conversation mondiale, et de reportage amateur démultiplié est sans précédent. Bien sûr il comporte ses risques. Tout n'y est pas fiable. La conversation se laisse tauper par des erreurs, hâtives ou induites. Et sa facilité même rend cette technologie vulnérable à la surveillance.

Mais les possibilités sont frappantes. Une jeune collègue iranienne écrit par exemple frénétiquement, pendant les manifestations réprimées, des bases de premiers secours en 140 caractères. Le B-A-BA, mais quel autre média permet de faire ça? Et bien sûr, malgré les efforts pour couper l'internet, la digue est pleine de trous: l'information, les photos, tout passe en quantité suffisante pour que le monde demeure spectateur des manifestations, de la répression, et de ses victimes. Certains ont pris le temps de faire le tri. Des synthèses commencent à apparaître. Des conseils d'activistes aussi. Et des conseils...pour améliorer l'usage de Twitter et le rendre plus sûr.

La caisse de résonance est vraiment énorme.
Et c'est aussi là que le gouvernement en place, chaque jour un peu plus, se discrédite.

La suite? Impossible à dire. La ressemblance du mouvement actuel avec la révolution de 1979 (avec ses manifestations, ses martyres, ses acteurs) doit rendre humble: il y a les protestations, elles peuvent être très longues, très sanglantes, l'issue en est incertaine, et ce que font les vainqueurs de cette issue l'est aussi. Mais on se prend à rêver que l'habitude d'être en discussion constante avec le monde entier rende inévitable, ou du moins plus probable, à la fois la victoire des opposants et la construction d'une société ouverte.

Car pour rappel, voici le résumé de ce que dit Amnesty International sur l'Iran de 2008:
"La liberté d’expression, d’association et de réunion demeurait soumise à des restrictions sévères. Des militants de la société civile, notamment des défenseurs des droits humains en général et des droits des femmes et des minorités en particulier, ont fait l’objet de mesures de répression. Certains ont été arrêtés, emprisonnés et jugés, souvent dans le cadre de procès inéquitables. D’autres ont été empêchés de quitter le pays et ont vu leurs réunions perturbées. Il était courant que les détenus soient maltraités et torturés, en toute impunité. Des peines de flagellation et d’amputation ont été recensées. Au moins 346 condamnés à mort ont été exécutés, le chiffre réel étant probablement plus élevé. Deux hommes ont été lapidés. Huit prisonniers exécutés étaient mineurs à l’époque des crimes dont ils étaient accusés."

Au sujet de la peine capitale, le rapport ajoute plus loin:
"La peine capitale était prononcée pour toute une série de crimes, dont le meurtre, le viol, le trafic de drogue et la corruption. Au moins 133 mineurs délinquants étaient sous le coup d’une sentence capitale, en violation du droit international. (...) En janvier, une nouvelle loi a fait de la production de vidéos pornographiques une infraction passible de la peine capitale ou de la flagellation. Le Parlement examinait un projet de loi visant à punir de mort l’apostasie, mais ce texte n’avait pas été adopté à la fin de l’année."

Alors oui, il est trop tôt pour savoir si la théocratie iranienne survivra aux clashs actuels. Mais faire mieux c'est en tout cas possible. Exécuter des mineurs. Punir de mort l'apostasie. Voilà effectivement un gouvernement contre lequel on irait risquer sa vie. Sauf qu'il serait tellement préférable de ne pas avoir à le faire. Alors, qui fera le poids pour exiger, au moins, de nouvelles élections?

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Attendre, attendre...

Nos pauvres têtes blondes ont bon dos. Après toutes les formes diverses et variées de tests d'intelligence cognitive, émotionnelle, les résultats scolaires, et toute l'expérimentation qui va avec le développement pédagogique auprès des petits enfants, voilà t'y pas qu'on invente une nouvelle sorte de torture.

Sauf que celle là, elle est fascinante. Imaginez: vous donnez à un enfant un marshmallow. Vous lui dites que vous allez partir, le laisser seul avec, et que dans 15 minutes (15 minutes!!! autant dire une éternité) vous reviendrez voir s'il l'a mangé ou non. S'il est encore là, il en aura un deuxième. La double mise. Il pourra les manger tous les deux. Chic! Mais pour cela il doit résister à la tentation, et faire preuve de capacité à accepter un délai de gratification.

On se reconnait tous dans cette situation. La vidéo qui se trouve ici est terriblement chou. On se tord d'empathie pour les gamins comme celle de l'image, qui tentent par tous les moyens de ne pas manger leur bonbon.

Là où ça devient troublant, c'est que le tiers qui y parvient se retrouve à travers des cultures très différentes. Une difficulté, et une capacité, transversale à notre espèce, il semble.

Et là où ça devient carrément troublant c'est que lorsqu'on suit ces enfants, ceux qui parviennent à résister s'en tirent mieux dans l'existence. Oui, quelque soit le chemin choisi semble-t-il.

Ça vous rappelle des choses? Non, je ne veux pas parler de votre vie, même si oui ça vous rappelle sans doute des choses là aussi. Mais cette expérience est un exercice de la modération qui sert à rendre la vie meilleure. Selon certaines morales antiques, la recette d'une bonne vie, où bonne veut dire à la fois juste et heureuse.

L'histoire, malheureusement, ne dit toujours pas si ça peut s'apprendre...

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Un coup de fil pas si facile?

C'était il y a quelques années et elle était toute embêtée, la dame, au téléphone. Évidemment, on peut comprendre : elle tenait absolument à avoir un rendez-vous, et je venais de lui dire carrément non. Mince. Alors, comme on ne veut pas manquer de cœur, j’ai pris le temps de lui expliquer qu’il n’y avait là rien de personnel. Que j’avais d’ailleurs même beaucoup de respect pour la difficulté de son travail. Le marketing pharmaceutique, ça ne doit pas être tous les jours très drôle.

Oui, bien sûr, je l’avais vue l’année dernière. Mais voyez, chère Madame, j’ai désormais pris la décision de ne plus recevoir de représentants de l’industrie. C’est ainsi.

Que je vous explique mes raisons ? Ah, bon ? Vous êtes perplexe devant le nombre croissant de mes collègues qui vous disent non ? A vrai dire, je ne suis pas entièrement surprise. Plutôt rassurée, en fait. Figurez-vous que oui, bien sûr, vous nous présentez des informations, mais leur biais en faveur de vos produits n’est plus à démontrer. Vous l’aviez d’ailleurs vous-même admis l’an passé, avec cette étude où votre médicament était comparé au moins efficace de ses concurrents. Ce qui est gênant, voyez-vous, c’est que ça marche quand même. Alors que nous connaissons ces biais, nos pratiques de prescription changent souvent quand même en faveur de vos produits après vos présentations.

Non, bien sûr, je ne pense pas être plus influençable qu’une autre ! Mais il est malheureusement démontré que nous ne sommes pas très lucides quand il s’agit de reconnaître cette influence. Nous admettons que nos collègues puissent en être victimes, ça oui, mais alors nous-mêmes en aucun cas ! Si nous avions tous raison, c’est à se demander d’où vient l’effet démontré. Non, je suis obligée d’admettre que je ne suis pas vraiment différente, et que je peux moi aussi être influencée sans m’en rendre compte. Après tout, il s’agit de mécanismes humains profondément ancrés, alors pourquoi pas moi ? Vous comprendrez que, sachant cela, je ne puisse pas accepter de continuer à me soumettre à ce risque. Mes patients méritent mieux.

Vous êtes en souci pour ma capacité à rester à jour d’une recherche croissante ? Comme c’est sympathique ! Mais ne vous inquiétez pas. D’autres moyens existent. J’ai fait des études qui sont censées m’y avoir formée. Si je ne trouve pas que le partenariat entre les médecins et l’industrie est utile pour les malades? Là n’est pas la question : certaines formes, sans doute, mais pas celle-ci.

Tout ça ne suffisait visiblement pas à arranger sa déception. Alors finalement, je lui ai expliqué que j’allais également cesser de voir les représentants de toutes les firmes concurrentes. Comme par miracle, elle m’a semblé d’un coup complètement rassurée…Et c'est normal: dans la féroce concurrence publicitaire, pourquoi se serait-elle inquiétée d'un médecin qui ne voyait pas non plus ses concurrents?

Ces temps, d'autres se posent effectivement de plus en plus les mêmes questions. On trouve même en ligne des tests de dépistages et d'auto-évaluation de 'l'addiction à l'industrie pharmaceutique'. Ces tests sont écrits avec un sourire en coin, et ne sont évidemment pas formellement validés car ce diagnostic bien sûr n'existe pas. Mais leur lecture est édifiante, et ils sont documentés. Si vous êtes médecin et que vous recevez les représentants de l'industrie (ce qui n'est pas le cas de tous nos collègues), allez vous y faire votre propre idée...

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Singlière multitude

Depuis longtemps, on reproche aux soignants de ne pas assez reconnaître l’individualité de leurs patients. Changement de décor, face au politique voilà qu’ils s’en retrouvent parfois les uniques défenseurs. Et la tâche est délicate. Car, entre regarder la foule ou les personnes qui la compose, on se perd. Soigner un individu souffrant, c’est écouter une subjectivité différente des autres. C’est inscrire son action dans un contexte de vie unique à cette personne. C’est reconnaître son unicité. En même temps, soigner cette personne c’est aussi appliquer des connaissances issues de données collectives. C’est comparer ses décisions aux décisions de ses confrères, à des directives générales. C’est reconnaître les points communs de nos corps, de nos maladies...

Au cœur de la médecine vit cette tension entre le singulier et le multiple. Et la reconnaître, c’est devenir observateur de lentes collisions programmées. Entre le singulier et le multiple, l’assurance a clairement choisi sa position. Liberté de contracter, pointage du doigt sur les médecins qui 'sortent du lot' et maintenant paiement des hôpitaux par forfaits diagnostiques, tout cela vise à payer la médecine sur la base de sa part de prévisible, et aura sans doute pour effet de rendre les prises en charge plus uniformes. Pour le financement de notre système la part de foule dans la médecine est seule à compter. Et pourquoi pas ? Soigner une population permet de se doter de règles claires, de montrer que l’on suit les conclusions des grandes études, de 'lâcher le leste' inutile des coûts de la santé en uniformisant les procédures, de rendre les soins plus systématiques et donc moins risqués.

Tout cela est vrai, au moins en partie.
Où est donc le problème ?

Le hic est là: on rend les règles plus strictes, on serre les valences ; soigner, c’est de plus en plus être jugé sur la similarité des décisions prises dans tous les cas 'semblables'. C’est être jugé sur la foule. On grignote la place du singulier. Et cette place n’est pourtant pas un luxe. Le regard que l’on pose sur la multitude gomme les variations pertinentes, celles qui devraient faire changer une décision clinique. Être vu et respecté comme un individu est encore plus important lorsque notre identité physique, psychologique et sociale est atteinte par une maladie.

Justement, la marge de liberté du médecin face à son patient, à ne pas nécessairement faire comme d'habitude, sert entre autres à diminuer ces risques. Il s’agit de ne pas l’oublier. C’est le complément indispensable des données collectives, une soupape de sécurité, le contrepoids qui sauve à la fois la médecine et l’assurance, donc les patients, donc nous, des dangers liés à une généralisation trop 'chimiquement pure'...

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Questions d'éthique clinique

Allez vite voir l'excellente émission diffusée par Arte sur le Centre d'Ethique Clinique de l'hôpital Cochin. Elle ne sera disponible sur Arte+7 que 7 jours. A bon entendeur...

Née d’une rencontre entre des cliniciens, confrontés à des difficultés éthiques de plus en plus complexes, et les praticiens de la jeune discipline qu’était alors la bioéthique, l'éthique clinique reste difficile à expliquer. Mieux vaut en illustrer le fonctionnement, et c'est un des intérêts de cette émission. Car ce domaine ne se résume plus à la rencontre initiale qui l'a fondé. Celle-ci avait d'ailleurs été délicate. Ce contact de départ, il s'est fait entre l’analyse théorique, et des difficultés pratiques pleines d’émotions humaines, inscrites dans le chahut de la réalité: ça n'est pas allé sans difficultés. En 1973, Daniel Callahan, l’un des fondateurs de la bioéthique américaine, témoigne avec franchise :

'Je résistais, avec une pure panique, à l’idée de participer avec les médecins dans leurs décisions. Moi ? Je préférais de loin la sécurité des profondes questions que je leur présentais. Mais je me rendais également compte en faisant face à un vrai cas –et c’est là mon excuse- que rien dans ma formation philosophique ne m’avait préparé à rendre une décision éthique claire à une heure donnée d’un après-midi précisé. J’avais été formé comme il faut dans une splendide tradition d’érudition et de pensée soigneuse qui laisse au moins un ou deux millénaires pour résoudre un problème'.

Depuis, du chemin a été parcouru. Des philosophes se sont formés à la réalité des soins, des soignants ont pris le temps d’apprendre sérieusement la théorie morale. Des consultant d’éthique, seuls ou en équipe multidisciplinaires, sont devenus actifs dans les hôpitaux, d’abords en Amérique du Nord mais également en Europe et ailleurs dans la monde. Et ils sont utiles. A la pratique où leur aide est appréciée, et parfois aussi à la théorie qu'ils enrichissent de ce frottement avec une réalité difficile. Moins de dix ans après le témoignage de Callahan, le philosophe anglais Stephen Toulmin, élève de Wittgenstein, écrivait 'Comment la médecine sauva la vie de l’éthique'.

Le Centre d'Ethique Clinique de l'Hôpital Cochin, présenté dans l'émission, est un exemple...exemplaire de cette activité qu'est devenue l'éthique clinique. Il y en a d'autres, mais celui-là est vraiment remarquable, et ces centres demeurent de toute manière pour le moment relativement rares. Qui plus est, si certains centres anglo-saxons ont filmé leur expérience, et si certains comités d'éthique clinique mettent à disposition leurs avis (à Genève, ils sont ici), ou des outils pédagogiques (ici), il semble qu'il n'y avait jusqu'à présent aucun document audio-visuel francophone facilement accessible.

Curieux? Allez voir l'émission...

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Le suicide assisté en Suisse

Le numéro de juin de la revue Bioethica Forum, notre revue suisse de bioéthique, vient de paraître sur le thème de l'assistance au suicide.

Ce sujet très sérieux reste à l'actualité, et pas seulement en Suisse. Récemment, la chambre des Lords anglais débattait d'un point tatillon mais important: faut-il décriminaliser le fait d'accompagner un citoyen britannique en vue d'une assistance au suicide dans un pays étranger? Ce problème, qui concerne surtout des voyages en Suisse par des patients souffrant de maladies terminales, n'a pas l'air de disparaître tout seul. Or, actuellement, toute forme d'aide au suicide est interdite au Royaume Uni. Cela inclut techniquement l'achat d'un billet pour la Suisse pour un proche. Comment les traiter, alors, ces proches récemment endeuillés, qui reviennent au pays? La situation en Suisse a des répercussions internationales inattendues...

Les thèmes abordés dans ce numéro couvrent un champs large. Comment aborde-t-on des demandes de mort dans un pays où l'assistance au suicide est légale? Comment évalue-t-on la capacité de discernement des personnes qui font une telle demande? Comment pense-t-on 'le bien mourir' dans nos sociétés? Si vous êtes intéressé, la table des matières peut être visionnée en cliquant sur l'image. Le journal est accessible en ligne ici. Pour accéder à ce dernier numéro, c'est très simple: pour une somme modique, abonnez-vous...ou mieux: devenez membre de la société suisse d'éthique biomédicale. Après tout, si vous êtes ici c'est que ces sujets vous intéressent, non?

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Colloque - Médecine humanitaire et droits humains

Comme ce blog est lu par des personnes qui peuvent être intéressées, et que certaines (certaines!) ne vivent pas trop loin, je vous annonce les colloques de l'Institut d'éthique biomédicale où je travaille. Le prochain aura lieu le lundi 15 juin, et il sera question de droits humains, et du rôle de la médecine légale dans leur défense.

Un domaine dont on aimerait que la nécessité diminue, mais dont l'importance augmente plutôt car il est d'une triste actualité.

Ce colloque offrira un exemple d'activités et de recherche dans ce domaine. Il aura lieu le lundi 15 juin 2009, de 12h30 à 13h45. C'est aux Hôpitaux Universitaires de Genève, c'est-à-dire ici (sauf que la rue s'appelle depuis peu autrement, mais vous trouverez). Montez au 6e étage, c'est la salle 6-758 (6ème étage Bât. Principal – Médecine Interne - Bibliothèque).

L'oratrice sera:
Bernice Elger (Professeure adjointe au Centre Universitaire Romand de Médecine Légale)

Elle donnera une conférence intitulée:

Médecine humanitaire et droits humains: le rôle de la médecine légale"

Voici le résumé qu'elle a donné:

En cas de torture, d’exécution arbitraire ou d’autres violations du droit humanitaire et des droits humains, l’investigation des faits est importante afin d’assurer la prévention d’autres violations. Cette présentation explore le rôle de la médecine légale universitaire dans cette tâche, en discutant du rôle du Centre Universitaire Romand de Médecine Légale dans l’action humanitaire, à travers un projet de collaboration avec le CICR et l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève.

Cette conférence est ouverte à toute personne intéressée. Vous en êtes? Alors à tout bientôt!

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Encore un médecin assassiné

La notice ci-contre, destinée à figurer sur les exemplaires de la Bible, est censée être une plaisanterie. Mais parfois la plaisanterie devient très très sérieuse...

Et hier fut un de ces jours-là. Le Dr George Tiller, un médecin qui acceptait de pratiquer des avortements y compris tardivement en cas de viol ou de malformations graves, a été assassiné par arme à feu dans la ville du Kansas où il vivait. Et par dessus le marché ça c'est passé dimanche...à l'église. Sa femme était dans la chorale. Quatre enfants et 10 petits-enfants lui survivent également. On imagine difficilement leur peine.

Une règle contre ça, c'est justement le genre de chose qu'il faudrait mettre dans des règles dont on voudrait vraiment qu'elles guident notre existence: 'tu n'assassineras pas pour tes idées'. Voilà que les violences autour de l'avortement aux États-Unis, dont on pensait qu'elles avaient touché le fond dans les années 90, redémarrent. Ou plutôt non: espérons que cet événement restera cette fois isolé. Car ce meurtre, et les réactions qui l'entourent, nous montrent une des faces sombres des États-Unis. Des opposants proéminents à l'avortement se sont joints à tous ceux qui condamnent le meurtrier, oui, mais (et attention, ces deux liens ont du contenu mentalement toxique) d'autres se sont réjoui de manière crasse, et une violence verbale terrible précédait depuis longtemps le coup de feu. Ce n'était pas non plus la première fois que le Dr Tiller était attaqué. Une bombe avait explosé dans sa clinique en 1986, et il avait été blessé par balles en 1993. Sa clinique venait d'être à nouveau vandalisée le mois dernier. Ces actes de violence ont été décrits comme 'une forme efficace de terrorisme' par des commentateurs américains.

C'est tragique et choquant. Mais rappelons-nous que chaque année, 19 millions de femmes risquent des blessures sévères, la maladie ou la mort du fait d'avortements réalisés par des personnes non qualifiées, ou dans des conditions insalubres. C'est un des résultats de la criminalisation de l'avortement. Près de 70'000 de ces femmes meurent chaque année. Une toutes les 8 minutes, environ. Le Dr Tiller était un homme très éduqué qui vivait dans un pays riche. 96% des victimes d'avortements de rue sont des femmes pauvres, et la plupart vivent dans des pays pauvres. Si nous étions aussi choqués par la mort de ces victimes-là, de celles que justement il cherchait à aider, que par la sienne, son travail aurait été moins solitaire. Et sans doute du coup moins dangereux. C'est peut-être le moment d'apporter du soutien à des associations comme Medical Students for Choice, qui se forment pour devenir la prochaine génération de médecins acceptant de pratiquer des avortements dans des conditions sûres aux États-Unis, à une autre organisation américaine du même style, où à la International Planned Parenthood Federation, qui œuvre sur le plan international. C'est peut-être aussi le moment de revisiter l'idée de surveiller les effets des églises sur la santé...

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