Les périls...de la télé

Lors de sa célèbre expérience, plus connue parfois à travers le film 'I comme Icare', Milgram avait recruté des participants en leur faisant croire qu'ils allaient l'assister pour réaliser une expérience sur l'effet des punitions dans l'apprentissage. Ils devaient poser des questions à un faux 'sujet' (en réalité, ce 'sujet' était le véritable complice de Milgram) et, si le 'sujet' donnait une réponse fausse, ils devaient lui administrer un choc électrique. Je vous rassure, c'était truqué, pas d'électricité dans l'appareil, mais un acteur à l'autre bout qui jouait celui qui en reçoit. Et qui répondait souvent faux. A mesure que la réponse n'était pas la bonne, on demandait à 'l'assistant' d'augmenter le voltage jusqu'à un maximum de...450 volts. Ce que l'on testait en réalité était jusqu'où ils obéiraient à un ordre aussi barbare. On ne les menaçait jamais, il n'y avait aucune conséquence pour eux s'ils partaient, mais chaque fois qu'ils disaient vouloir s'arrêter, l'expérimentateur leur disait simplement de continuer.

Les résultats en ont terrassé plus d'un: 65% des sujets sont allés jusqu'au voltage maximum.

Lorsque j'explique cette expérience dans un cours, et comme ce sont des résultats qui dérangent, une remarque revient souvent: 'Bon, c'était au début des années 60, les gens étaient conformistes à cette époque'. Hmmm. Ce serait réconfortant bien sûr. L'ennui, c'est qu'on a répété ça des dizaines de fois, à différentes époques, dans différentes cultures. Et bien sûr ça marche encore. Dérangeant en effet.

C'était annoncé, cette expérience vient d'être dupliquée à la télévision. La vidéo est ici. Mais attention, c'est très difficile à voir. Ceux d'entre vous qui avez regardé nos semblables succomber les uns après les autres, aux successeurs de Milgram dans le documentaire 'Le jeu de la mort' n'ont peut-être pas tous eu la même réaction. On se dit qu'on aurait soi-même résisté. L'ennui, c'est que si l'on avait posé la même question à ceux qui sont réellement allés jusqu'au bout, ils auraient sans doute tous donné la même réponse. On le sait, face à cette question la majorité d'entre nous vit dans une illusion d'optique.

Alors, qu'est-ce qui aide à résister? On ne sait pas tout sur ce sujet. Mais peut-être, d'abord, est-il utile de ne pas avoir appris que l'obéissance à tout prix était une vertu. Il est ainsi troublant que le premier récit écrit d'échec -d'absence de révolte- à 'l'expérience de Milgram' soit sans doute Abraham...Profondément troublant. Milgram relève aussi que la proximité physique avec la personne à qui l'on inflige les 'chocs électriques' change la donne: plus on est proche, plus le contact est physique, plus la révolte contre l'autorité est fréquente. C'est aussi vrai si la victime peut voir son bourreau. La proximité de l'autorité a l'effet inverse: si la personne l'incarnant quitte la pièce, le taux de révolte augmente.

Par contre, est-ce qu'enseigner l'expérience de Milgram aide à y résister? Mystère. Comme beaucoup d'enseignants d'éthique, je me sers de cet exemple dans mes cours. On espère, parfois très fort, que nos élèves en sortiront plus aptes à éviter l'état agentique. L'esprit critique plus près de la surface. Mais au fond qu'en sait-on?

Le même doute flotte autour de la réplication de l'expérience par la télévision. A quoi les personnes ont-elles consenti, et quand? Et puis: de quoi s'agit-il, finalement? Veut-on clamer l'autorité de la télévision, déclarée 'légitime' par la voix-off? Il faut se rappeler qu'ici, ce mot ne signifie que le fait de l'obéissance, et non une légitimité morale. S'agit-il de mettre en garde, d'enseigner la méfiance? Sait-on seulement si ça marche? Ou bien s'agit-il de mettre en garde contre les excès de la télévision? Pas clair. Et c'est dommage. Car il y a aussi ici un élément troublant de voyeurisme moral, sur l'intimité de la conscience des personnes... Une des personnes ayant obéi le dit d'ailleurs: 'comment vais-je expliquer ça à mon mari, à mes enfants?' Disons cela comme ça: face au choix, lequel d'entre vous ne préférerait pas encore se dénuder, physiquement, devant une caméra?

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