Un enfant pour en sauver un autre

Vous vous rappelez des discussions s'il y a 15 jours, sur le 'bébé médicament'? Bon, 15 jours ce n'est pas si long. Mais je dois dire que ma première réaction (et celle de quelques collègues qui se reconnaîtront) a été de trouver que les médias ont parfois la mémoire courte. Car cette histoire du premier 'bébé du double espoir' né en France aurait dû nous rappeler ici quelque chose d'il y a pas si distant. En 2007, l'histoire d'Élodie et Noah faisait la Une chez nous.

Malgré l'humour plutôt grinçant que ces cas suscitent, ce sont des situations sérieuses. Elles concernent des parents dont un enfant nécessite une greffe de moelle osseuse, dont les indications sont en général des maladies graves. S'il n'y a pas de donneur apparenté, et que les chances d'obtenir un don sur les listes internationales est trop distant, ces parents ont parfois recours à...une augmentation des personnes apparentées. En d'autres termes, ils ont un autre enfant. Cette possibilité leur est ouverte avec ou sans aide, c'est après tout leur droit. Mais comment savoir si cet enfant sera compatible comme donneur? Ou même s'il sera lui aussi atteint de la maladie qui frappe son grand frère ou sa grande sœur? Le diagnostic préimplantatoire, un test génétique réalisé sur une cellule d'un embryon conçu par fertilisation in vitro, permet de répondre à la première question, et dans certains cas à la deuxième. Il est alors techniquement possible de n'implanter qu'un embryon à la fois sain et compatible.

Ce petit geste, qui nécessite quand même une procréation médicalement assistée, soulève une foule de controverses. En Suisse, il est interdit: les parents qui veulent y avoir recours doivent donc aller à l'étranger. Et lorsque le diagnostic préimplantatoire inclu la sélection d'un embryon pour permettre un don de sang de cordon (ou parfois de moelle) dans la fratrie, on sent la tension monter. L'argument qui est alors opposé est généralement celui de l'instrumentalisation: l'interdiction d'utiliser un être humain seulement comme un moyen, et non comme 'un but en soi', donc comme un être ayant une valeur propre indépendamment de son utilité pour autrui.

Le problème, c'est que le problème de l'instrumentalisation n'est pas que la personne soit utile à autrui. C'est de limiter son importance à cela. Cette critique revient donc à accuser ces familles de ne pouvoir considérer cet enfant que comme une sorte de réservoir à tissus humains, d'être incapables de l'aimer comme ils aimeraient un enfant conçu autrement. Sérieux, comme accusation, ça. Et pas très réaliste. Lorsque la question est placée explicitement sur la table, on assiste d'ailleurs à des contorsions intéressantes pour éviter cette conclusion. La Commission Nationale d'Ethique, qui a publié deux prises de positions sur le diagnostic préimplantatoire, qui était divisée lors de la seconde, et qui a soigneusement évité de porter cette accusation, offre un exemple de ces contorsions dans ce passage:

"Les membres de la commission qui s'opposent à la légalisation du typage tissulaire par DPI en Suisse s'appuient eux-mêmes sur des considérations purement éthico-sociales et ne remettent pas eux non plus en cause la décision individuelle des parents."

Etrange évaluation éthique, qui juge éthiquement répréhensible une pratique dont les acteurs sont par ailleurs jugés parfaitement honorables...Alex Mauron le commentait il y a quelques temps lors d'un débat à la radio que vous trouverez ici. C'est sans doute là le reflet de notre inconfort. Car tout autour de nous, dans les situations que la technique médicale n'atteint pas, les exemples sont légion: on a un deuxième enfant pour compléter la famille, pour donner un compagnon au premier, pour se conformer à un certain idéal social, pour ne pas regretter plus tard de ne l'avoir pas fait, pour...pour...pour... toute une série de choses. Et l'on estime que tous ces choix sont...parfaitement honorables. Un peu exigés, parfois, même. Une amie me disait il y a quelques temps qu'elle 'ne savait pas qu'en ayant un premier enfant elle signait un contrat avec la société pour en avoir un deuxième'.

Qu'est-ce que la technologie change à ça? Un certain nombre de choses, sans doute. Mais pas la question de l'instrumentalisation. Et est-ce réellement, à la base, plus problématique de faire un deuxième enfant pour sauver la vie du premier? Tant que le problème est rattaché à ce pour, on doit admettre que l'argument est plutôt faible...

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