Cellules souches: brevettera, brevettera pas?

Il arrive que derrière les discussions un peu techniques se cachent des enjeux tout simples. On en a un exemple en ce moment. La longue bataille juridique devant la Cour de justice européenne sur la question de la brevetabilité des cellules souches embryonnaires humaines. A lire les descriptions, on a l'impression que c'est une histoire où s'affrontent ceux qui ne veulent pas voir mercantiliser des embryons humains, et ceux qui veulent faire de la recherche. Mais à bien lire les texte, on dirait bien qu'il ne s'agit ni de l'un ni de l'autre.

D'abord, il ne s'agit pas d'embryons. Breveter des embryons humains est clairement interdit; la question ici tourne uniquement autour des cellules déjà dérivées d'embryons (qui n'existent donc plus).

Et puis il ne s'agit pas de recherche. Ni même de pouvoir ou non breveter une invention dérivée de la recherche. Car breveter les techniques appliquées aux lignées cellulaire n'est pas disputé. Ici, la question tourne autour de la brevetabilité des cellules elles-mêmes.

En quelques mots, l'enjeu:

-La directive 98-44-EC, interdit "les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales;" et précise que "Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables."

-La même directive stipule par ailleurs que "Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel."

Qu'en est-il donc de cellules qui ont été dans le passé dérivées d'un embryon, puis différenciées en culture? Elles sembleraient a priori être 'un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique'. Donc brevetables. On peut disputer le principe selon lequel un 'élément isolé du corps humain' serait brevetable, bien sûr, mais ici il s'agit d'appliquer cette directive et non de la remettre en question.

Les arguments contre la brevetabilité de ces cellules, à ce que j'ai vu il y en a deux. Aucun ne tient la critique, et tous deux sont inquiétants.

Argument 1: la dérivation de cellules souches embryonnaires impliquerait la destruction d'embryons et les breveter contreviendrait donc à l'interdit d'utiliser des embryons à des fins commerciales.
Cet argument est erroné: il n'est tout simplement pas généralement nécessaire de détruire un embryon pour obtenir le genre de cellules visées par la controverse. Une fois la première lignée dérivée elle pourra dans de nombreux cas être entretenue et différenciée plus avant sans avoir recours à de nouvelles destructions d'embryons. Cet argument est inquiétant car il signale une méconnaissance scientifique du sujet, ou alors que cet aspect n'est pas jugé important.

Argument 2: la directive interdit de breveter "Les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs", et l'utilisation de cellules souches embryonnaires serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs. Bon, l'ordre public sans doute pas. Disons les bonnes mœurs. Mais comment les définit-on? Là est le hic. Car en utilisant la notion de bonnes mœurs, la directive implique qu'il s'agit de situations où le contenu des 'bonnes mœurs' fait l'objet d'un consensus. Du coup, appliquer cette notion à la recherche sur les cellules souches c'est un vrai problème. Car sur la question des cellules souches, ce consensus n'existe tout simplement pas. La question de savoir si l'usage d'embryons humains dans la recherche est ou non conforme 'aux bonnes mœurs' est même un cas exemplaire des questions qui nous divisent, sur lesquelles nous n'avons pas de consensus social. Cette question est d'ailleurs réglée de manière très différente dans différents pays. Considérer que 'les bonnes mœurs' permettent de conclure quoi que ce soit ici est donc naïf, ou arrogant, peut-être calculateur, et en tout cas étrange. Si l'on va au bout de cette logique, interdire les brevets sur les cellules souches pourrait revenir à considérer les lois de certains pays d'Europe comme en contradiction avec les bonnes mœurs...

Au fond, la question est donc très simple. Dans l'application de cette directive, ici, on essaye de faire comme si tout le monde était d'accord qu'utiliser des embryons humains dans la recherche était immoral. Donc de faire passer une certaine idée, pas déshonorante en tant que telle, mais pas généralement partagée non plus, comme si elle était la seule possible. Et de le faire en faisant tout bonnement semblant qu'elle est généralement partagée.

Pas surprenant que ce genre de stratagème préfère se cacher derrière un brin de technicité...

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Loin des yeux...

Et mince, encore une confirmation que des médecins employés par le Département de la défense américain à la prison de Guanatanamo auraient fermé les yeux sur des signes de torture perpétrée sur des détenus qu'ils soignaient. Ou, plus exactement, il semble que ces médecins aient soigneusement relevé les symptômes physiques (contusions, fractures, lacérations...) et psychologiques (syndrome de stress post-traumatique, dépression...) de leurs patients, sans jamais se demander quelles étaient leurs causes. Dans un cas il est même documenté au dossier qu'un détenu présentant un état dépressif, des cauchemars, des trous de mémoire, une perte d'appétit et de concentration, et des idées suicidaires a été traité avec des antidépresseurs et a reçu le conseil de 'se détendre...lorsque les gardiens se comportent de manière plus agressives'. L'article est en accès libre, mais attention: lecture difficile.

Alors bon, oui, malheureusement, ce n'est pas la première fois qu'on évoque une participation médicale aux 'techniques d'interrogation poussées' à la prison de Guantanamo. L'ONG Physicians for Human Rights nous avait même fourni il y a presqu'un an un résumé de documents officiels montrant que l'aval médical avait été employé pour justifier la torture.

Reste à savoir si cette étude aura une quelconque conséquence. Des poursuites juridiques contre des médecins ayant participé à la torture, il n'y en a pas eu tant que ça dans le monde. Et aux États-Unis, aucun précédent pour le moment. Et puis, s'agit-il cette fois de participation à la torture? Difficile question. La American Medical Association interdit bien sûr la participation des médecins à la torture. Mais quelques distinctions d'imposent. Leur déclaration sur la question précise que les soins aux victimes de la torture sont bien sûr licites. Mais sont interdits tout soutien, sous forme matérielle ou d'information, à la pratique de la torture; la présence de médecins lorsqu'elle est pratiquée ou menacés; la certification qu'un détenu est 'apte'. Il est également précisé que les médecins doivent offrir un soutien aux victimes et, chaque fois que c'est possible, tenter de changer les situations dans lesquels un fort potentiel de torture existe.

Au sens stricte, il n'est donc pas sûr que la plupart des comportements décrits dans l'étude puissent être considérés comme une participation médicale à la torture. Mais voir cela, c'est aussi voir que le problème est plus profond. Car fermer les yeux sur les causes de blessures et de traumatismes, c'est au minimum ne pas mettre l'intérêt de son patient avant. En lisant cette étude, on a comme l'impression de voir l'effritement des valeurs professionnelles, le côté concret du danger qu'encourent nos collègues dans une situation effroyablement difficile. Encore un signe que maintenir le rôle de la médecine en prison alors que les praticiens sont employés par les autorités de cette prison, et bien ce n'est pas une chose facile. Et encore moins dans une situation comme celle-ci...

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Chut...

J'aime beaucoup l'image que la Revue Médicale Suisse a choisie pour ce billet. Alors je le reprend, avec un lien vers l'original, en vous reproduisant l'article:

«La pauvre, elle vient de recevoir une mauvaise nouvelle...» La compassion de la voisine de chambre, à ce moment où elle a franchement ses propres problèmes, est profondément touchante. Compréhensible ; admirable même, sans doute. A cela près qu’elle n’aurait en fait pas dû connaître l’état de santé de sa voisine. La confidentialité dans un hôpital, c’est un problème difficile.

Tellement difficile, en fait, que l’on se sentirait presque tenté de déclarer forfait. Nous avons tous eu l’expérience de conversations de couloir qui n’auraient pas dû s’y tenir. Au fil des milliers d’heures qu’on y passe, on se sent presque chez soi dans un hôpital. Dans les ascenseurs d’hôpitaux britanniques, on est, semble-t-il, témoin d’une rupture du secret médical dans 3-7% des trajets, et il serait surprenant que les résultats soient très différents ici. La visite au lit du patient, inévitablement, mène à des conversations que d’autres patients entendent. Il semblerait d’ailleurs que les patients comprennent et ne nous en tiennent en général pas rigueur. Mais parfois ils taisent leurs propres informations par crainte d’être entendus.

Et c’est là le hic. Difficile à protéger dans un hôpital, la confidentialité n’en reste pas moins une pierre angulaire de la médecine. Contrôler l’information qui nous concerne, cette part de sphère privée non physique ; comment se confier à un soignant sans cette garantie ? Et comment pratiquer la médecine si toute anamnèse se voyait amputée des informations que le patient jugerait sensibles ? Une pierre angulaire, oui. Mais qui a sans cesse besoin d’être défendue. Les anthropologues nous le soufflent, les ragots nous sont un point commun. Avec l’esthétique, les soins aux enfants, le deuil, le conflit, la narration, les promesses, l’empathie, la peur de la mort, l’admiration de la générosité, le feu, le langage et le goût du sucre parmi bien d’autres, un élément parmi une longue liste d’universels humains. On tchatche dans toutes les cultures. Dire ce que l’on sait les uns des autres nous vient naturellement. Aller à contresens, ce n’est pas facile.

Mais en même temps, exercer la médecine c’est aussi accepter de ramer à contre-courant. Comme disait récemment un collègue : «C’est pas comme si faire le bien des gens était dans l’air du temps...». L’air du temps nous donne parfois l’impression que taire quelque chose est déjà presque être coupable. Il insiste toujours plus sur la transparence. Largement à juste titre d’ailleurs. Sauf que malgré tout cela, oui, nous avons des choses à cacher.

Alors dans un hôpital, comment fait-on ? Des affiches dans les ascenseurs ? Des rappels ? La réorganisation des lieux où l’on parle ? Protéger le secret médical peut prendre des airs de contrôle de l’infection... Car le courant de la transparence ne faiblit pas. Et les obstacles logistiques non plus. Les informations transmises avec la facturation se font plus détaillées. Des étudiants en médecine américains ont été repris pour avoir rompu le secret médical sur des réseaux sociaux. Le temps manque souvent pour prendre un patient à part. Les informations doivent circuler et parfois elles font un overshoot... Alors dans tout ça, vous feriez comment, vous ? Va falloir continuer à ramer, en tout cas.

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Avoir une 'carte de preneur'

"Rien ne sert d'avoir une carte de donneur si le médecin n'a pas de carte de preneur." commentait-on sur un message précédent de ce blog. Très juste.

Du coup, on est encouragés de lire une très jolie étude dans le British Medical Journal il y a quelques temps, qui devrait faire dresser l'oreille aux personnes intéressées par la transplantation d'organes. En Espagne, oui, un pays déjà connu pour avoir un nombre important de donneurs d'organes, on a augmenté le don de 15% en distribuant un guide de bonnes pratiques aux médecins. C'est un très beau résultat. Surtout quand on sait qu'en Espagne le point de départ est déjà l'un des taux de don les plus élevés d'Europe. Mais bien sûr c'est vrai: être systématique dans la reconnaissance des personnes qui décèdent dans des conditions permettant le don d'organe, savoir dans quelles conditions on peut (ou non) devenir donneur d'organes, et expliquer correctement la demande de don aux proches des personnes décédées, et bien ça s'apprend.

A encourager donc également, des événements comme la conférence donnée par Franz Immer de Swisstransplant à Genève, et qui est disponible en ligne ici. Elle vaut le détour. Pas besoin de vivre ou de travailler en Suisse pour y apprendre quelque chose. Au passage néanmoins, une série d'informations plus pertinentes dans notre pays. Une solution se profile pour les frontaliers candidats à la greffe. Tant mieux. Les exclure était une lacune importante. Et nos cartes de donneurs vont bientôt comporter le choix de permettre des mesures de maintien des organes. C'est un pas important pour permettre le don d'organes lorsque la mort cérébrale survient suite à un arrêt cardiaque plutôt que l'inverse.

Reste à voir si l'on profitera pour changer l'intitulé général de nos cartes de donneurs. Car où ailleurs ces cartes comportent-elles la mention 'Déclaration pour ou contre le prélèvement d'organes (...)'? Très très neutre, dira-t-on. Mais en Suisse, c'est vrai, il semble que la neutralité on l'aime parfois sans mesure...

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