Conflits d'intérêts dans la surveillance des médicaments

C'est de nouveau l'heure du billet dans la Revue Médicale Suisse. Alors je le reprend, avec un lien vers l'original, en vous reproduisant l'article:

Vous en pensez quoi, vous ? Non, non, vraiment vous. Vous en pensez quoi ?

Le 16 juin dernier, la TSR dévoilait lors d’un documentaire les déclarations de conflits d’intérêts des experts de Swissmedic. Premier constat : des conflits d’intérêts, certains de ces experts en ont. Moment de silence sérieux ici. Moment de consensus aussi : devant des conflits d’intérêts dans une agence de surveillance des médicaments, on se rend bien compte qu’on est en terrain dangereux. On se rappelle le retrait du Vioxx et les conflits d’intérêts à la FDA, l’agence de surveillance américaine. Deuxième constat cependant : à la question «que faire ?» les réponses sont divisées. A ma gauche (littéralement), les tenants de l’interdiction : les experts doivent être neutres, ils ne doivent avoir aucun conflit d’intérêts. A ma droite, les tenants de la déclaration : ce qu’il faut, c’est une transparence totale.

Le documentaire ne tranche pas. Les reportages non plus. Et en effet, devant cette alternative, on sent une certaine gêne. D’une part, oui, on peut imaginer mettre une limite aux conflits d’intérêts admis. Mais les interdire entièrement reviendrait à exclure des expertises dont on a besoin. D’autre part, on voit mal comment la transparence pourrait suffire. Car si on vous déclare qu’Untel a participé contre rémunération à un groupe d’experts pour les fabricants du Vivonsmieux, vous en pensez quoi ? Du coup, c’est OK ? Et puis : son avis sur la sécurité du produit est-il valable ? Comment le déterminer ? Objectivement, ce n’est pas vraiment possible. Ça va très vite se mettre à tourner autour de ce que vous pensez de lui comme personne. S’il est fiable. Vertueux. Incorruptible. Aïe.

Le hic est là. Si les conflits d’intérêts sont dangereux, c’est précisément parce qu’ils n’ont pas tant que ça à voir avec la vertu personnelle. Parce qu’ils fonctionnent sur des réflexes humains très profonds, comme la gratitude ou la réciprocité. Parce qu’ils reposent souvent sur des intérêts mutuels légitimes, aussi. On peut céder aux pièges qu’ils représentent, se tromper dans ses priorités en quelque sorte, sans manifester de faiblesse morale particulière. Être une personne vertueuse, même en imaginant qu’on sache l’évaluer, comme protection ça ne va pas suffire.

Alors comment faire ? Pour commencer, peut-être, ne garder que les conflits d’intérêts qui se justifient par un lien avec les buts poursuivis. Dans une agence de surveillance des médicaments, posséder des actions serait plus problématique qu’avoir reçu des fonds de recherche, par exemple. Le statut de chercheur est lié à l’expertise requise, celui d’actionnaire non. Ensuite, ne garder que les conflits d’intérêts dont l’influence se laisse réguler. Identifier où ils auront une influence, comment l’éviter, quelles règles seraient nécessaires, et si elles sont applicables. Certains passeront ce test, mais pas tous. Du coup, cette démarche vous donne quelque chose d’utile à déclarer : le conflit d’intérêts, mais aussi les moyens mis en œuvre pour protéger la neutralité des décisions.

Alors, vous en pensez quoi ? Difficile ? Peut-être. Mais ce jeu-là en vaut certainement la chandelle.

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