Noël: plus intelligente générosité?

Certains d'entre vous sont dans une dernière ligne droite frénétique d'achats de Noël. Alors je profite pour vous souffler en douce, comme si vous aviez le temps, que parmi les cadeaux que nous recevons pendant les fêtes, peu sont en fait des choses auxquelles nous attachons du prix.

En tout cas, pas des choses auxquelles nous attachons du prix. Nous attachons du prix au fait de les recevoir, bien sûr, et surtout à ce qu'elles disent sur les liens qui nous unissent à d'autres. C'est la valeur affective, liée à la personne qui vous l'a offerte et au geste qu'elle a fait pour vous: tout cela ne nécessite pas à strictement parler d'être véhiculé par une chose qu'elle aurait achetée pour vous l'offrir. La même valeur s'attacherait à une sortie au restaurant, à une promenade en montagne, à une friandise cuisinée de ses mains expertes (ou même pas si expertes que ça). Mais il semble que si vous êtes représentatif, et honnête comme ça entre quatre zyeux, alors à la question "parmi vos cadeaux de Noël, quelles sont les choses auxquelles vous attachez vraiment de la valeur?" votre réponse se situera entre 'pas tous' et 'très peu'. Voir 'aucun'. Nous nous faisons très souvent des cadeaux pour le geste plus que pour l'objet.

Quel lien avec l'éthique?  C'est qu'à lier au geste un objet, on génère des conséquences humaines qui ne sont pas toujours visibles.

Des conséquences écologiques. Après 6 mois, seulement 1% des choses que nous achetons sont encore utilisées. Les matières premières qui ont servi à les fabriquer, en revanche, sont souvent perdues. Et la pollution qu'elles auront générée subsiste.

Des conséquences humaines, aussi. Nos appareils technologiques sont très friands de minéraux rares, et comme du coup ceux-ci rapportent très bien ils font l'objet de guerres sanglantes. Le tantale, le zinc, le tungsten, sont tous nécessaires pour nos téléphones et tablettes: une bonne part des mines sont aux mains des seigneurs de la guerre  de la République démocratique du Congo.

Finalement, il y a des conséquences plus difficiles à voir encore. L'argent que nous dépensons à nous donner les uns aux autres des cadeaux inutiles dont la fabrication est délétère, nous pourrions faire tellement mieux avec.

Alors plutôt que de courir après l'idée de la dernière minute pour acheter une chose à quelqu'un que vous aimez, voici quelques idées de gestes à lui offrir.

A la dernière minute, trop tard sans doute pour un poème ou un gateau (quoique cette recette de truffes à l'air fameuse et fichtrement rapide). Mais il vous reste les alternatives immatérielles. Vous pouvez leur offrir, par exemple, un bon pour faire un prêt sur Kiva, le site de micro-crédit entre particuliers. Un don à Because I'm a girl qui finance l'éducation des filles là où elle ne va pas de soi. Ou à une des organisations testées comme les plus efficaces pour sauver des vies là où c'est vivre qui ne va pas de soi. Vous pouvez financer en leur nom un rat entrainé pour détecter les mines antipersonnelles, ou la tuberculose. Ou aider en leur nom quelqu'un à se libérer de ses dettes via le site de Strike Debt, qui rachète pour une bouchée de pain les dettes de personnes qui ne s'en sortent juste plus, pour ensuite les pardonner purement et simplement. Vous pouvez leur offrir une inscription à la Déclaration de Berne, qui tente de rendre plus justes les règles du jeu sur le plan international.

Le bonus? Tout ça peut se faire en ligne. Rapidement, et sans affronter de foules.

Du coup, vous aurez peut-être même encore le temps de faire les truffe...

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Avorter peu, et en sécurité (1, sans doute...)

Hier, nous avons reçu sur papier journal du matériel de campagne de l'initiative pour le déremboursement de l'interruption de grossesse. Vous aussi, peut-être. Chez nous, une de mes filles a voulu le mettre à la poubelle aussi sec, mais je l'ai sorti pour qu'on puisse passer en revue les arguments en famille. Il y a beaucoup à dire. Assez pour plusieurs messages sur ce blog. Et peut-être que vous aurez aussi des commentaires. Mais, pour commencer, l'image.

Elle semble à première vue idyllique, cette image. Une jeune maman et son bébé, qui sourit comme sourient les bébés plus tout à fait nouveau nés, et juste avant Noël en plus. En dessous, un texte qui cible l'émotion: "Je ne veux tout de même pas cofinancer des avortements!"

Madame, je suis heureuse pour vous. Je trouve comme tout le monde votre image touchante. Voir une maman et son bébé heureux ensemble me rend heureuse moi aussi. Mais, cela étant dit, votre égoïsme me sidère.
Peut-être l'ignorez-vous, mais les complications d'une interruption de grossesse mal conduite incluent la stérilité, et peuvent aller jusqu'au décès. Le document auquel vous êtes associée voudrait faire de l'Autriche un exemple rassurant du contraire. Mais l'Autriche compte parmi les pays qui préfèrent ne pas tenir de statistiques de ce genre de choses. Il est facile, ensuite, de dire qu'on n'a rien observé. C'est aussi un pays où l'accès à l'interruption de grossesse est régulièrement remis en cause et qui pourtant a un des taux d'avortement les plus élevés d'Europe et nettement plus élevé que la Suisse. Les complications d'interruptions de grossesse mal conduites sont actuellement rares en Europe, mais elles existent encore là où l'avortement sûr n'est pas facilement accessible. L'Afrique du Sud a diminué de 90% les problèmes de santé liés l'avortement en le rendant légal, et le rendre légal c'est aussi le rendre plus accessible. 

Peut-être l'ignorez-vous Madame, mais devoir payer une intervention, quelle qu'elle soit, peut aussi la rendre inaccessible. Dans le seul canton où l'on ait osé faire cette étude, on a constaté que près de 30% des Suisses dont les salaires sont dans la tranche inférieure ont renoncé récemment à des soins médicaux car ils ne pouvaient pas se permettre leur part des coûts.

Madame, peut-être l'ignorez-vous encore, mais 48% des femmes qui interrompent une grossesse en Suisse ont déjà des enfants. Un nombre qui n'est pas dans les statistiques souhaiteront en avoir par la suite. En voulant limiter l'accès à l'interruption de grossesse médicale, correctement conduite, vous voulez refuser à ces femmes une part de la possibilité de vivre le bonheur que vous clamez dans tous nos ménages. Vous voulez refuser à leurs enfants une part de la sécurité de garder leur mère.

Alors oui, Madame, vous devriez vouloir co-financer des avortements. Ils rendent possible pour d'autres femmes ce que vous vivez: une relation heureuse et désirée avec un enfant. 


Mais peut-être, Madame, méritez-vous en fait que je sois plus douce avec vous: car après tout peut-être ignorez-vous aussi que votre image a été utilisée ainsi. Nous vivons après tout l'âge virtuel, et peut-être n'êtes-vous que l'image en ligne qui a été trouvée belle par les personnes qui font cette campagne...

Ces personnes, il faut espérer qu'elles seront minorisées le 9 février. Nous avons après tout voté il y a relativement peu de temps le régime des délais, et la Suisse fait figure d'exemple sur le plan des interruptions de grossesse: elles sont plutôt rares, et se font dans de bonnes conditions. Beaucoup de gens finalement savent ce que je viens de rappeler ici. La position qu'on vous prête a heureusement peu de chances d'être majoritaire.

Peut-être que ce qu'il faudrait rappeler à ces personnes, finalement, c'est qu'elles devraient se rassurer. Rembourser l'avortement ne l'augmente pas. Les pays qui rendent l'interruption de grossesse accessible n'en ont pas davantage. En fait c'est plutôt même le contraire: ils en ont moins. Non: rembourser l'avortement c'est une sécurité. C'est une mesure de prévention de ses complications lorsqu'il est mal fait. Cette sécurité est de toute manière accessible à ceux qui en ont les moyens. Garder l'interruption de grossesse dans l'assurance de base, c'est s'assurer que cette sécurité ne dépendent pas de nos moyens financiers.

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Don d'organe: quel consentement?

En Suisse, le Conseil des Etats à rejeté le passage au consentement présumé pour le don d'organes. Une mesure dont je vous avais déjà parlé et que le Conseil National avait accepté il y a quelques temps. Un dossier dont on reparlera certainement, donc. Du côté des services de transplantation, on a clamé que les droits des personnes en liste d'attente n'étaient pas respectés. Et comment faire, en effet? Car il est clair qu'il n'y a pas de droit à être transplanté. En même temps, il y a en revanche un droit à obtenir les soins dont on a besoin, a fortiori s'ils sont nécessaires à notre survie. En même temps toujours, ce droit ne s'étend pas à obtenir d'autrui un organe, qui lui appartient même après sa mort. Mais que cela signifie-t-il que mes organes m'appartiennent, lorsque je ne peux plus rien en faire, car après tout je suis déjà morte? La question de remplacer ou non le consentement explicite par le consentement présumé navigue entre ces difficiles questions.

Dans cette controverse, quelques points méritent d'être précisés. D'abord, il n'est pas exacte que le consentement présumé serait carrément 'non éthique'. Un commentaire récent dans le forum du Bulletin des médecins suisses a raison sur ce point. Sous le consentement présumé, nous garderions le droit d'être ou de ne pas être donneur d'organes, car nous garderions le droit de nous opposer. Nos proches garderaient eux aussi le droit de s'opposer à notre place, ce qui constituerait une protection pour les personnes qui n'auraient pas voulu faire la démarche du refus de leur vivant.

En fait, le problème principal du consentement présumé n'est pas une atteinte à l'éthique, qui est évitable, mais l'inefficacité. Changer le mode de consentement ne change pas la capacité du système à identifier les personnes décédées qui pourraient devenir donneuses d'organes. Cela ne permet pas non plus de lever le doute sur la volonté de la personne décédée, et c'est souvent ce doute qui motive le refus de ses proches. Quel que soit le mode de consentement choisi, donc, il faut aussi d'autres mesures si l'on souhaite faciliter le don d'organes. Les pays qui, comme l'Espagne, ont fortement augmenté le don d'organes le doivent probablement à d'autres mesures, comme la coordination, et la formation du personnel soignant à aborder la question de la transplantation.

Ce qui permettrait de lever le doute serait en revanche de demander à chacun de se prononcer. Lorsque je vivais aux Etats-Unis, on m'a demandé de faire figurer cette information sur mon permis de conduire. Non seulement ce n'était pas choquant, mais c'était en même temps une démarche de prévention routière. En Suisse, on pourrait imaginer de faire de même avec la carte d'assurés, par exemple. Dans le temps, j'avais appelé ça le consentement proposé. Je vous en avais déjà parlé ici, et j'en ai reparlé dans le journal de Swisstransplant. Cela soulagerait le fardeau des proches en clarifiant la volonté de la personne décédée, cela faciliterait l'expression de notre volonté et du coup sans doute aussi le don d'organes, cela ne porterait pas atteinte à notre liberté puisque l'on demeurerait libre de donner la réponse que l'on voudrait. Qui sait, peut-être qu'un jour on essayera...

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Nos susceptibilités génétiques

C'est un joli petit feuilleton qui se joue aux Etats-Unis. Il concerne une compagnie dont je vous avais déjà parlé il y a quelques années. 23andme, un des premiers vendeurs de tests génétiques en ligne, s'est vu interdire le marketing par la Federal Drug Administration. La raison? Ils n'auraient pas suffisamment démontré que leurs tests fournissaient des résultats fiables.

Une des choses qui rendent cet événement intéressant, c'est que fournir une analyse génétique exacte est un exercice difficile. Même lorsqu'on ne regarde qu'une variante génétique, il y a toutes sortes d'incertitudes: la variante est-elle effectivement présente? Après tout un test parfait ça n'existe pas. La variante est-elle associée à quelque chose, comme une caractéristique ou une maladie? Ce n'est pas toujours le cas. Si c'est le cas, quelle est la probabilité que cette caractéristique ou cette maladie soit présente chez la personne qui porte la variante génétique? Après tout, nos gènes ne sont pas notre destin, un tas d'autres facteurs sont à l'œuvre, bref il y a souvent loin du gène à la vie quotidienne. Les vendeurs ne le précisent pas.  En envoyant leurs résultats sous la forme d'un niveau de risque pour une maladie, ils ont tendance à laisser en place des malentendus. Et ces vendeurs se sont maintenant fait reprendre là-dessus. Les régulateurs argumentent que c'est tout le champ de la vente directe des tests génétiques qui doit être mieux surveillé et correspondre à des standards plus clairs. Ils ont raison.

Les vendeurs de tests répondent, bien sûr. Ils précisent que les autorisations de la FDA sont faites pour être demandées un test après l'autre, et qu'une analyse de salive qui test des millions de 'composantes de l'ADN' n'est pas faite pour un dossier dans ce format. Et bien sûr ils ont raison aussi.

La suite? Elle est à suivre. Pour le moment, 23andme continue d'offrir les mêmes analyses, mais ne parle plus d'analyse médicale. A la place, la compagnie se concentre sur l'autre but qui amène des clients chez elle: mieux connaître d'où viennent ses ancêtres. Plus exact, plus fiable? Non. Ici aussi, une analyse génétique permet de savoir certaines choses, mais pas tout, et avec un degré d'incertitude. La recherche de ses ancêtres, en attendant, est nettement moins strictement régulée que la recherche de la santé. Ils testent donc les mêmes choses, puisqu'ils testent les mêmes gènes, mais ils ne donnent pas les mêmes informations en retour.

Et c'est là que se niche sans doute la partie la plus intéressante de cette histoire. Car vous avez bien lu: en réponse à une critique sur la fiabilité de leurs tests, 23andme ne vont pas les changer. Non, ils vont continuer de faire les mêmes analyses, mais comme la question qu'on leur aura posée sera différente, la réponse qu'ils donneront sera elle aussi différente. Jusqu'à présent, 23andme ont vendu à leurs clients la promesse d'informations sur leur santé. Mais certains les avaient déjà critiqués pour cela. Car finalement, la conclusion d'une telle analyse est souvent beaucoup de bon sens, et parfois de l'angoisse dont on ne sait que faire. Les conseils que l'on peut retirer d'une analyse génétique de ce type sont habituellement les mêmes que ceux que l'on connaissait déjà: il est meilleur pour la santé de manger sainement, d'avoir une activité physique régulière, et surtout de ne pas fumer. On peut effectivement, en plus, connaître ses risques spécifiques pour toute une série de maladies pour lesquelles aucune prévention n'existe, mais ensuite que faire de cette information? Lorsque le clic est facile et le prix abordable, on ne se pose pas assez souvent cette question. Et parfois, l'utilité principale de ces informations n'est pas pour le client. Mais alors qui? 23andme est très explicite sur la question: ils ont pour projet de faire avancer la science génétique en permettant des analyses de population, sur de grands nombres d'échantillons. Ils semblent aussi très honnêtes sur ce point: ils annoncent ne se servir pour cela que d'échantillons dont les propriétaires ont consenti à ce qu'ils soient ainsi employés.

Si l'on résume, donc, 23andme vendent de l'information qui vise surtout à satisfaire la curiosité, sans nécessairement apporter de réelle aide pour la santé. Cette information peut être inquiétante. Et son but le plus clair est de permettre de nouvelles découvertes. Pour cela, les clients sont prêts à payer.

On voit se dessiner ici les ingrédients d'un joli noeud. Car même si les tests employés étaient bien validés, comme l'exige la FDA, le marketing qui promet des avantages de santé serait-il tellement moins problématique? D'autre part, si les tests ne sont pas bien validés, on voit mal comment l'usage des résultats pour la recherche serait acceptable. Ce point semble complètement hors sujet pour la FDA (pour les curieux, la lettre est là). On ne voit pas très bien pourquoi, et le changement de marketing de 23andme ne règle rien du tout sur ce plan.

Un début de régulation dans un domaine qui a besoin de plus de cadre, donc. Mais un début seulement. Il n'aborde que l'enjeu le plus 'classique', dans un domaine qui est loin de l'être.

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