Recommandations de la Commission Nationale d'Ethique sur la PMA: première lecture

C'est un rapport impressionnant, que vient de publier la Commission nationale d'éthique dans le domaine de la médecine humaine. "La procréation médicalement assistée - analyses éthiques et propositions pour l'avenir" frappe par le nombre de sujets abordés: nous en aurons certainement pour plusieurs billets dans ce blog. La recommandation frappe aussi par la distance qui y est prise par rapport à des prises de positions préalables, par cette même commission dont la composition n'a pourtant pas -encore- changé. C'est aussi une distance par rapport à la législation actuelle en Suisse, qui est extraordinairement prudente. Dans les réactions, la surprise est palpable et ne semble pas toujours être bonne.

En guise de résumé des conclusions, et sans doute un peu de table des matières de commentaires à venir, voici les recommandations présentées en fin de document:

1. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du DPI": c'est le diagnostic préimplantatoire, un sujet dont nous avons déjà parlé ici, ainsi qu'ici, et puis aussi ici, ici et ici. L'autorisation du diagnostic préimplantatoire a entre temps été acceptée par le Conseil national, et maintenant également par la Commission de la science de l'éducation et de la culture du Conseil des Etats. Un point attendu, donc, raisonnable, encadré dans le projet de loi en discussion de manière plutôt prudente.

2. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation de la détection des aneuploïdies": c'est une recommandation d'étendre le champ des analyses génétiques qui seraient autorisées par le projet de loi actuellement en discussion.

3. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du typage HLA": ici c'est la possibilité de donner naissance, exprès, à un enfant qui serait non seulement exempt d'une maladie grave qui aurait frappé un frère ou une soeur, mais également compatible avec l'aîné et donc susceptible d'être le donneur dans une greffe de cellules du cordon ombilical. Nous en avions également parlé ici.

4. "La CNE unanime recommande l'autorisation du don de sperme pour les couples hétérosexuels non mariés": c'est proposer que l'on cesse de réserver la procréation médicalement assistée aux familles traditionnelles, alors que l'on admet par ailleurs qu'un couple non marié peut tout aussi bien être le socle d'une famille.

5. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du don de sperme pour les couples de même sexe et les personnes seules": c'est aller plus loin mais dans la même direction que la recommandation précédente. Il est à prévoir que ce sera plus controversé, car la reconnaissance de ces familles en tant que telles est plus fragile. Moins légitime? Ce n'est pas sûr.

6. "La majorité de la CNE recommande l'autorisation du don d'ovule et du don d'embryon": ce point nous y reviendront. Mais il est important de comprendre qu'il a deux composantes au moins. D'une part, il concerne la possibilité de donner des ovules déjà prélevés, des embryons déjà fécondés. Lors d'une procréation médicalement assistée, il arrive qu'un couple complète son projet parental avant d'avoir eu recours à chaque ovule et chaque embryon préparé pour cela. Dès lors, qu'en faire? La loi actuelle impose en Suisse un choix entre la destruction et le don pour la recherche sur les cellules souches. L'autorisation du don d'ovules et d'embryons ajouterait à ce choix une troisième option: en faire don à un couple qui souhaite avoir recours à la PMA. La seconde composante consisterait à autoriser le prélèvement d'ovocytes dans le but du don. C'est évidemment une situation entièrement différente. Cette seconde situation nécessite que l'on se penche sur les risques liés à la marchandisation des ovocytes. Mais c'est un enjeu délicat car ce genre de risque existe avec une autorisation mal encadrée, mais aussi avec une interdiction. Nous y reviendrons...

7. "La majorité de la CNE estime que la maternité de substitution peut être acceptée sur le principe, mais émet des doutes quant à la possibilité d'un encadrement acceotable assurant la protection adéquate de toutes les personnes concernées, vu les dangers de commercialisation de cette pratique". La recommandation est donc de ne pas autoriser la maternité de substitution.

8. "La CNE recommande unanimement que soit garanti l’accueil et un statut juridique sûr pour les enfants nés par le biais d’une maternité de substitution à l’étranger et qui se voient refuser l’autorisation d’entrée en Suisse, pour éviter des conséquences préjudiciables pour l’enfant."

9. "La majorité de la CNE se félicite du projet de loi concernant la levée de l’interdiction de la cryoconservation des embryons et plaide pour la levée de toute détermination d’un nombre maximal d’embryons pouvant être développés, comme condition pour permettre d’améliorer les possibilités d’Elective Single Embryo Transfer, en conformité avec les bonnes pratiques médicales : réduction de la probabilité de grossesses multiples et des risques inhérents, et amélioration de l’efficacité des méthodes de PMA"

10. "La CNE recommande unanimement la création d’un registre des enfants nés par PMA (follow-up)."

11. "La CNE attire unanimement l’attention sur l’importance que les dispositions légales tiennent compte des bonnes pratiques médicales": une toute petite recommandation, mais elle est bien sûr importante et il est révélateur qu'elle soit nécessaire.

12. "La CNE demande une adaptation du droit de la filiation, afin de mettre en oeuvre ses recommandations."

13. "La CNE attire l’attention sur les évolutions préoccupantes actuelles de commercialisation, particulièrement dans ce domaine"

Comme je vous le disais, il y a là de quoi faire plusieurs billets. L'essentiel de ces recommandations, pourtant, se laisse résumer en un fil conducteur très bien décrit par Jean Martin cette semaine:

"Souvenons-nous que les décisions dont nous parlons touchent la vie très privée, intime, de familles. A mon sens, la légitimité d’interventions intrusives de l’Etat est ici limitée à s’assurer qu’on ne nuit pas gravement à autrui et, le cas échéant, au respect de l’ordre public. Et il n’est pas possible de dire que l’ordre public est menacé parce qu’un couple entend bénéficier dans son propre pays d’une technique biomédicale mise en œuvre impeccablement en Belgique ou en France.(...) que ceux qui sont à «l’extérieur», et notamment les pouvoirs publics, se gardent de lancer des anathèmes moraux avant d’avoir considéré sereinement les situations."

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Billet d'invité: Born this way (hommage à Lady Gaga)

Merci une fois de plus à Alex Mauron, qui nous refait un billet d'invité. Cette fois c'est un sujet qui revient à l'actualité et qui a vraiment besoin d'éclaircissements:

La question des causes biologiques de l’homosexualité suscite une fascination durable chez beaucoup de gens, surtout parmi nos concitoyens à la haute stature morale qui, comme disait Mencken, sont hantés par la crainte que quelqu’un, quelque part, pourrait avoir du plaisir. Il est donc logique que la controverse du « gène gay » réapparaisse régulièrement dans l’actualité. La dernière itération en est l’opération de relations publiques menée il y a quelques jours par des chercheurs de Chicago autour de travaux sur la corrélation entre l’homosexualité masculine et certaines régions des chromosomes 8 et X. Ces résultats, présentés dans le congrès annuel 2012 de l’American Society of Human Genetics, ne sont toujours pas parus dans un journal scientifique à peer review. Qu’à cela ne tienne, ont dû se dire les chercheurs, qui ont participé à une manifestation de vulgarisation scientifique opportunément agendée pour la Saint-Valentin et calibrée pour susciter le buzz médiatique. Et buzz il y eut. Le Daily Mail du 14 février titre: « Etre gay, c’est dans vos gènes, affirment des scientifiques dans une nouvelle étude sur l’ADN », qui ajoute doctement que « cela renforce l’idée que l’homosexualité est affaire de biologie et non de choix ». Vous penserez peut-être que ce sont les journalistes incultes qui simplifient tout abusivement. Alors voyons ce que déclare au Daily Mail l’investigateur principal de l’étude, le psychologue Michael Bailey de la Northwestern University : « L’orientation sexuelle n’a rien à voir avec un choix. Nos résultats montrent que les gènes entrent en jeu puisque deux groupes de gènes influencent le fait qu’un homme est hétéro ou gay. » Il s’empresse d’ajouter que le développement d’un test prénatal sera difficile vu le nombre de gènes impliqués (nous voilà rassurés. Ou bien ?).

En fait, le gène gay, c’est une vieille histoire. En 1993, Dean Hamer publiait des résultats impliquant déjà la même région du chromosome X dans l’orientation sexuelle masculine. A l’époque, ces données tombaient en plein dans une controverse politico-morale. Pour la droite conservatrice, l’idée que l’homosexualité soit génétique, c’est-à-dire inévitable, était trop affreuse pour être vraie car cela démentait la croyance selon laquelle l’homosexualité est un style de vie immoral et exonérait les gays de toute culpabilité, sans compter qu’elle ôtait leur plausibilité aux « thérapies de conversion » censées changer l’orientation sexuelle vers la normalité hétéro et qui persistent à être prônées aujourd’hui dans les milieux chrétiens fondamentalistes. A l’inverse, les mouvements américains de défense des gays ont souvent embrassé la théorie du déterminisme génétique de l’homosexualité masculine, car elle place la discrimination homophobe dans le même registre que la discrimination raciale : il s’agirait dans les deux cas d’un traitement injustement différent des personnes sur la base d’une caractéristique biologique qui ne relève manifestement pas d’un choix de l’individu concerné. Avec du recul, ce choix tactique apparaît assez malheureux, car le fait de désigner l’homosexualité comme une fatalité biologique complique peut-être sa condamnation morale mais cela n’exclut absolument pas de la traiter comme une pathologie. Or qui dit pathologie dit thérapie et/ou prévention. Du même coup, on retombe sur les funestes pratiques d’évitement de l’homosexualité par des parodies de psychothérapie, voire le dépistage génétique prénatal… mais ce dernier est heureusement une chimère.

Il est frappant de voir comme la réception sociale de ce genre de recherches en génétique comportementale humaine est complètement surdéterminée par des positions idéologiques, d’ailleurs souvent contradictoires : sur le « gène gay », les défenseurs de droits des gays étaient pour, la droite religieuse était contre. Mais rappelez-vous les controverses plus anciennes sur l’hérédité de l’intelligence: la droite était pour (il faut bien que les riches puissent croire que leurs talents innés expliquent leur bonne fortune), la gauche était contre (si la nature humaine est trop contrainte par des déterminations biologiques, comment changer la société ?). Souvent les chercheurs concernés lèvent les bras au ciel en clamant qu’ils ont été mal compris, mais ce sont parfois les premiers à se faire mousser en suggérant ces interprétations génératrices de grands frissons. Comme si ce domaine de recherche se devait absolument de fournir des résultats soit spectaculaires, soit terrifiants. Ou les deux, c’est encore mieux.

Cette surdétermination de controverses scientifiques sur l’hérédité par des agendas politiques est une constante, y compris parmi certains scientifiques, comme l’illustre une brève histoire des idées en matière d’hérédité de l’homosexualité (un peu ancienne mais encore utile) qu’on trouve ici. Essayons donc de mettre entre parenthèses ces implications politiques supposées et de décortiquer l’état de la question: alors, l’homosexualité, c’est les gènes ou c’est l’environnement ? Les deux, mon général, et on peut conclure sans risque de se tromper que l’orientation sexuelle dépend à la fois de la génétique et de ce machin polymorphe appelé « environnement ». Depuis les années cinquante du siècle dernier, des études sur les jumeaux ont mis en évidence la probabilité accrue pour le frère jumeau monozygote d’un homosexuel de l’être aussi. Mais ces recherches étaient entachées de problèmes méthodologiques, liés entres autres au présupposé discutable que l’hétérosexualité représente l’option « par défaut » de l’orientation sexuelle. Néanmoins les études de jumeaux les plus récentes semblent nettement plus solides et confirment l’existence d’une composante génétique relativement importante dans l’orientation sexuelle, du moins chez les hommes (revue et références ici), l’homosexualité féminine étant probablement assez fondamentalement différente. L’héritabilité de l’homosexualité masculine se situe dans une fourchette de 39 à 48%, ce qui veut dire que dans les populations étudiées, environ 40% des différences d’orientation sexuelle sont explicables par des différences génétiques.

Trouvaille spectaculaire ? Pas vraiment, et cela pour de nombreuses raisons. D’abord, l’héritabilité est un concept populationnel, qui ne permet pas de tirer des conclusions sur les individus. L’héritabilité mesure la corrélation entre la diversité d’un phénotype (c’est-à-dire d’une certaine caractéristique des individus, en l’occurrence l’orientation sexuelle) et la diversité génétique de la population. L’héritabilité d’un phénotype peut changer si la composition génétique de la population change, ou que des variables environnementales pertinentes changent aussi. Le cas classique, c’est l’héritabilité de la taille. Dans les populations non précarisées des pays riches, la taille des enfants devenus adultes ressemble beaucoup à celle de leurs parents; l’héritabilité est très élevée, de l’ordre de 80%. Est-ce à dire qu’un mécanisme génétique inflexible détermine la croissance des enfants de façon prépondérante, ne laissant qu’un rôle tout à fait mineur à l’environnement et en particulier l’alimentation ? Évidemment non, et pour s’en convaincre il suffit de considérer l’héritabilité de la taille à d’autres époques ou chez des populations moins prospères d’aujourd’hui, qui est nettement moindre. Une explication plausible est que chez nous, la grande majorité des enfants ont une alimentation suffisante – voire plus - et sans carences majeures. Du même coup, la variable « nutrition » n’est plus tellement variable justement; et comme elle est fixée à un niveau relativement optimal, les différences de taille vont surtout refléter la variabilité génétique, à savoir des différences dans les propensions génétiques à être plus ou moins grand. Puisque la variabilité de l’environnement est faible, les effets de la diversité génétique sont plus marqués. Le fait que la taille donne l’impression d’être essentiellement génétique plutôt qu’environnementale est en fait dû… à l’environnement! Il y a encore d’autres raisons qui rendent l’estimation et l’interprétation de l’héritabilité chez l’être humain particulièrement compliquée comme expliqué dans cet article (pour les geeks).

Revenons à l’héritabilité de l’orientation sexuelle. Qu’un homme soit gay ou hétéro, ça n’a pas de sens de dire que les gènes y sont pour 40% et tout le reste pour 60%. Ça n’a pas non plus de sens de dire que l’orientation sexuelle masculine est à 40% fixée une fois pour toutes (« innée ») et à 60% malléable en fonction de facteurs extérieurs à la personne considérée et sur lesquelles on pourrait en principe intervenir (« aquise »). On touche ici du doigt le malentendu le plus fondamental et qui plombe pratiquement toutes ces controverses. C’est l’erreur qui consiste à plaquer sur la distinction hérédité/environnement une notion d’inévitabilité ou au contraire de changement possible. Car il y a un raccourci fautif dans l’air du temps selon lequel si c’est les gènes, on n’y peut rien, si par contre c’est l’environnement, on peut intervenir (de quelle manière est une autre question). Or pour des traits humains complexes, sous la dépendance simultanée de plusieurs gènes et de facteurs environnementaux, l’héritabilité ne permet de tirer aucune conclusion a priori sur l’efficacité d’interventions extérieures. La notion de fatalité génétique, qui hélas est souvent proche de la vérité pour les maladies génétiques mendéliennes dont s’occupe la génétique médicale, n’est pas pertinente ici.

Ce contresens une fois identifié, on voit que les controverses politico-morales que nous évoquions sont bâties sur le sable. On croit parler de biologie alors qu’en fait on parle de déterminisme et de libre arbitre, ainsi que de pratiques sociales et culturelles modelant les comportements de façon plus ou moins impérieuse; et on oublie souvent que les conditionnements éducatifs et sociaux peuvent être aussi contraignants que les gènes. Enfin, il y a ce bon vieux paralogisme naturaliste qui pointe le bout de son nez et nous fait oublier qu’on ne peut pas benoîtement tirer des conclusions normatives des schémas descriptifs et explicatifs que fournissent la biologie, la psychologie et les sciences sociales. Le faux débat sur l’homosexualité faute ou pathologie s’est bien estompé, du moins dans le monde occidental et cela ni à cause, ni malgré les résultats de ces recherches. Et si la persécution des homosexuels est encore si répandue, voire en progrès dans de nombreuses régions du monde, cela n’est pas affaire de science, mais bien d’obscurantisme moral et de bourrage de crâne à visées politiques (signez ici).

Homosexualité et génétique : des conclusions à l’eau tiède, semble-t-il. Alors, la génétique des comportements humains, c’est du pipeau ? En fait, il y a de vraies questions et des questions vraiment profondes, même si elles sont moins sexy. Car on doit se demander comment le développement humain et les comportements résultent de cette imbrication intime de la génétique avec la foultitude de causes de toute nature que le terme « environnement » résume de façon bien imparfaite : le milieu utérin, la nutrition, les interactions enfant-parents et les câlins reçus ou absents, l’éducation, la socialisation, les péripéties de toute nature qui jalonnent une biographie… Question massivement complexe mais non insoluble et sur laquelle un nouveau venu ouvre des perspectives décoiffantes : l’épigénétique. La découverte que le génome est affublé de post-it moléculaires qui marquent durablement certains gènes pour en limiter l’expression change la donne de façon assez spectaculaire. En effet, la mise en place de ces post-it - des marqueurs épigénétiques - semble répondre à des stimuli environnementaux, voire même à des comportements. Les travaux initiaux de Meaney et Szyf à Montréal avaient montré que le comportement maternant ou distrait des rattes induisaient chez leurs petits des attitudes caractéristiques durables touchan à la réaction au stress et que des modifications épigénétiques de l’ADN étaient en cause. L’idée que le matériel génétique n’est pas seulement porteur de l’hérédité classique, mais que par le biais des marqueurs épigénétiques, il forme un nouveau lien causal entre des facteurs environnementaux et des modifications à long terme au niveau neurologique, hormonal, et comportemental est un bouleversement conceptuel dont on ne voit pas vraiment toutes les implications à ce jour. Un nouveau domaine de recherches en plein essor. Et le jour où il se confirmera que certaines de ces modifications épigénétiques sont héritables à travers les générations d’individus, alors les anciens comme votre serviteur qui ont étudié la biologie dans les années 70 et 80 risquent l’infarctus, car cela voudrait dire qu’il y a transmission héréditaire de caractère acquis. Tout ça est encore largement incertain, mais qui sait… Les dogmes, plus ils sont imposants, plus ils font de bruit en tombant.

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Marchandisation du corps

J'ai parlé à la radio., dans l'émission Babylone de la RTS. Le sujet? L'objectification et la marchandisation du corps humain. Tout un programme. Alors plutôt que de vous faire le résumé, je vais vous indiquer le lien. Je ne suis pas la seule invitée, alors patience...

Mais ensuite, venez dire ce que vous en pensez dans les commentaires. Il y a beaucoup de sujets. Certains sont des enjeux très controversés. Il serait donc surprenant que vous n'ayez aucune idée sur aucun d'entre eux. Mais pour le moment allez écouter, c'est ici...

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Mourir avant d'être adulte

Ça y est. La Belgique a légalisé l'euthanasie pour les mineurs. C'est un texte qui soulève bien sûr beaucoup de commentaires. Pour les faire informés, le texte en langue française de la nouvelle loi est ici.

Mais ce texte n'est pas entièrement une surprise. Il n'y aurait en fait eu que deux raisons de s'y opposer. Premièrement, comme le souligne mon collègue Iain Brassington dans les blogs du British Medical Journal, celui qui s'oppose à l'euthanasie en tant que telle aura tendance à également s'opposer à la possibilité de l'euthanasie pour les mineurs. Mais la Belgique admet que l'on puisse, sur sa demande instante et lucide, accepter de donner la mort à une personne gravement malade qui souffre et qu'on ne peut soulager que par ce moyen. Faudrait-il pour cela attendre d'avoir 18 ans, lorsque la maladie, elle, n'attend pas toujours, et la lucidité non plus?

Ce serait là la seconde raison de s'opposer: estimer que jamais un mineur ne pourrait avoir une lucidité suffisante pour une telle décision.

En filigrane de la réaction de rejet que l'on trouve dans certains commentaires, se cache en fait deux tragédies. Oui, il arrive que des adolescents se trouvent en phase terminale d'une maladie incurable, et que leurs souffrances ne puisse pas être soulagées même avec des soins palliatifs bien conduits. C'est proprement révoltant. C'est rare, heureusement. Mais oui cela arrive. Un monde tel que nous le souhaiterions, tel que nous le ferions s'il ne dépendait entièrement que de nous, ne contiendrait certainement pas ce genre de situation. Mais elles ne peuvent être écartées d'un trait de plume du législateur. Un pays qui admet l'euthanasie active, sur demande d'un patient qui en a compris les enjeux, ne peut pas vraiment justifier de mettre la majorité parmi ses critères. C'est la compréhension des enjeux qui est ici décisive. Un enjeu très bien expliqué ici par Alex Mauron

Et c'est précisément dans cette lucidité que se trouve la deuxième tragédie. Les enfants, les adolescents, atteints de maladies graves grandissent autrement que les autres. Il est profondément triste de les voir perdre, avec une enfance normale, une des parts essentielles de la vie humaine avant de perdre parfois le reste.

Leur accorder le droit de choisir l'euthanasie, est-ce dès lors un respect de leur choix qui n'est pas de leur âge? Nos ados en bonne santé, on voit bien qu'ils ne font pas que des choix considérés, et certains sans doute le penseront. D'ailleurs, ce choix, la loi Belge ne le leur reconnait pas entièrement. Leurs parents doivent eux aussi consentir. On ne peut qu'imaginer la dureté des situations qui mènent à ce genre de décision. En plus, ces situations sont strictement encadrées: il faut avoir épuisé les alternatives thérapeutiques, il faut que la souffrance soit 'constante et insupportable'.  Dans les circonstances décrites, sans doute ne décririons-nous pas le choix de mourir, constant et réitéré, comme une 'lubie d'adolescent'. En Suisse, un adolescent dans ces circonstances a le droit de demander l'arrêt des moyens de maintien en vie, dès lors qu'il est capable de discernement. Un respect de leur choix qui n'est pas de leur âge, disions-nous? S'ils grandissent plus vite, s'il devancent en quelque sorte leur destin, s'il sont contraints de prendre avant les autres une part du monde des adultes, alors sans doute leur devons-nous en effet précisément cela...

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Ma vie dans les mains de la science

C'est de nouveau l'heure de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. Comme d'habitude, un extrait et le lien:

"De prime abord, impossible de faire confiance à un médicament. Ce n’est pas une personne. A la place, on fait confiance aux personnes qui nous l’ont prescrit, fourni, rendu possible. Mais alors quel geste immense. Derrière mon inhalation de tout à l’heure, le premier pas est facile : avoir confiance en mon médecin traitant, dans mon cas c’est très simple. Mais encore faut-il en avoir un. Aux étapes suivantes le processus se corse. Un médicament est un produit industriel et son fabricant aussi je vais devoir le considérer comme compétent, honnête, fiable. Lui ou les instances qui le surveillent. Vous voyez la foule augmenter ? Attendez : un médicament est le produit de la démarche scientifique. Il faut ajouter à cette foule les chercheurs, les éditeurs de journaux, les instances de financement de la science.Tous ces gens, comment savoir si l’on a raison de leur faire confiance ? Pas étonnant que tant de personnes arrêtent leur traitement dès qu’elles ne peuvent plus constater en direct qu’il les aide. Alors oui bien sûr, si je n’avais pas vu un effet immédiat j’aurais persisté, moi. Mais je sais comment fonctionne la science et je mets sans hésiter ma vie dans ses mains. Je sais aussi que nous faisons tous cela à chaque antalgique, à chaque ascenseur. Pour qui n’en a pas conscience, la difficulté est pourtant réelle..."

Et même si je vous l'ai déjà mis dans le billet sur la mammographie, je ne résiste pas à vous remettre le lien (dans le même numéro) de l'excellent édito de Bertrand Kiefer sur le Swiss Medical Board

Bonne lecture, et venez nous dire ce que vous en pensez!

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Cas à commenter: dépistage systématique par mammographies

Un avis d'experts relance la controverse autour de la mammographie de dépistage. J'ai assez envie de vous en faire un cas à commenter, car je sais qu'il y a parmi les lecteurs réguliers de ce blog plusieurs personnes qui connaissent plutôt bien ce genre de sujet.

Mais avant de vous passer la parole, un petit résumé et quelques clarifications. Le Swiss Medical Board a publié en début de semaine une recommandation contre le dépistage systématique du cancer du sein précoce par la mammographie. Oui, oui, je sais, ça ressemble à une attaque contre la santé des femmes (en pleine campagne de défense de l'accès à l'interruption de grossesse ça tombe mal), à un recul sur la prévention (alors qu'en Suisse on peut faire mieux sur ce chapitre), bref à une très très mauvaise idée. Mais ce qu'ils recommandent n'est pas de ne plus faire de mammographie. Encore moins de ne plus les rembourser. Il ne s'agit donc pas d'un débat pour ou contre la mammographie elle-même. Non, ce qu'ils ont recommandé était de ne plus faire de programmes systématiques, avec courrier aux ménages et invitation à venir dans un centre de dépistage sur le seul critère du sexe féminin et de l'âge.

Leur raisonnement? Il y a des avantages à ces programmes, mais aussi des inconvénients parfois sérieux pour les personnes visées. C'est là-dessus que se focalise le rapport. Etant donné la possibilité réelle de dépister plus précocément d'une part, mais aussi le risque de voir quelque chose qui en fait n'est pas grave et de faire subir pour rien un traitement lourd, comment peser? La réponse des experts: en demandant aux femmes elles-mêmes, lorsqu'elles viennent en consultation, pour leur permettre de décider si elles trouvent que le jeu en vaut la chandelle. Et leur conclusion: on ne doit pas simplement les convoquer pour des mammographies, on doit leur en expliquer les avantages et les risques lorsqu'elles se présentent chez leur médecin. On ne doit donc pas, disent-ils, encourager les campagnes de dépistage systématique.

Ce qui est inconfortable, c'est qu'en Suisse en tout cas il semble que les campagnes de dépistage systématique soient surtout une spécialité romande. Elles ne sont certainement pas la seule différence entre les régions linguistiques dans la prise en charge du cancer du sein, mais toutes les différences prises ensemble donnent une mortalité plus faible de cette maladie en Suisse romande. Quel rôle joue spécifiquement le dépistage systématique dans cet effet? Ce n'est pas entièrement clair et sans doute serait-il utile de le clarifier.

Autre élément inconfortable: le rapport relève à juste titre que les informations fournies lors des campagnes de dépistage sont surtout positives, et qu'elles présentent parfois les chiffres sous un jour trop favorable à la pratique du dépistage. Mais les patientes initialement ne font que se rendre dans un centre de dépistage. La véracité de leur compréhension se jouera sur l'entretien qui s'y déroulera. En fait, les laisser choisir en connaissance de cause est parfaitement compatible avec la pratique du dépistage systématique.

Restent les coûts. Effectivement, améliorer l'information sur place suppose plus de personnel, plus de temps, finalement plus d'argent. Le jeu en vaudrait-il la chandelle sous cet angle-là? Ce point n'est pas examiné dans le rapport. La question du rapport coût-bénéfice, en revanche, l'est. Elle est même plutôt bien examinée puisque la comparaison est faite avec d'autres interventions pouvant améliorer, ici, la santé des femmes. Pas de problème de justice distributive entre les sexes a priori, donc. Mais pas de conclusion non plus. Le rapport demande si "les ressources consacrées audépistage systématique par mammographie nepourraient être utilisées de façon plus efficace et sauver ainsi plus de femmes. D’autres moyensde prévention, qui revêtent une importance toute particulière dans ce débat, vis-à-vis du cancerdu sein, relèvent du comportement personnel:on citeral’absence de surpoids, le renoncement àla prise d’hormones pendant la ménopause et l’absence de consommation excessive de denréesd’agrément comme l’alcool et le tabac." C'est une difficulté que l'on va certainement recroiser ces prochaines années, ça. Lorsqu'un moyen de prévention coûte quelque chose, il sera toujours meilleur marché de demander aux individus de se comporter de manière plus saine. La question qui se pose ici, vous devez apprendre à vous la poser à chaque fois: demander aux individus de se mieux comporter, est-ce que ça marche dans le cas de figure considéré ? La dernière fois que vous avez demandé, simplement demandé, à quelqu'un de perdre du poids ou d'arrêter de fumer, par exemple, que s'est-il passé?

Au sommaire, un rapport qui a beaucoup de bons points. Certaines critiques ont tiré à côté, d'autres ont été plus justes. Mais ce rapport a aussi des défauts, et ces défauts sont intéressants. Certains sont des problèmes que nous allons certainement recroiser.

Et vous, alors, qu'en pensez-vous?

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