Billet d'invité: le Québec légifère sur l’aide à mourir

Un grand merci à Alex Mauron, qui nous fait cette fois un billet d'invité sur la nouvelle loi adoptée sur la fin de vie au Québec, qui soulève effectivement des enjeux intéressants. Je lui passe tout de suite figurativement la parole:


Après plus de quatre ans de travaux, l’Assemblée nationale du Québec a adopté un nouveau projet de loi légalisant l’aide médicale à mourir. Celle-ci est définie comme « un soin consistant en l’administration de médicaments par un médecin à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès ». Une telle assistance pourra être obtenue par une personne atteinte d’une maladie incurable lui causant des souffrances insupportables. La demande, faite en connaissance de cause et en pleine conscience par une personne obligatoirement résidente du Québec, devra être avalisée par deux médecins. La nouvelle législation pourra se prévaloir d’une majorité massive puisqu’elle a été adoptée par 94 voix contre 22. Il est vrai que ce consensus politique sera d’autant plus nécessaire qu’une contestation de la loi au niveau fédéral est, selon les mots du premier ministre Philippe Couillard, « possible et probable ». Même si la loi inscrit l’aide à mourir dans le prolongement des soins en fin de vie et en particulier des soins palliatifs, la collision est inévitable avec le Code criminel du Canada. Car celui-ci condamne sévèrement l’euthanasie et l’assistance au suicide et les milieux conservateurs pro-vie ne manqueront pas d’attaquer la loi devant les tribunaux.

On sait que le Québec est juridiquement hybride puisque sa législation relève à la fois de la tradition anglo-saxonne, qui imprègne le droit fédéral canadien y compris le droit pénal, et de la tradition civiliste, dont relève le droit privé. Or la nouvelle loi réactive cette tension car elle met en lumière une divergence fondamentale entre la tradition du Common Law anglo-saxon et du droit européen continental en matière de mort volontaire. Dans le sillage de la révolution française et de l’esprit des Lumières, les Etats européens ont décriminalisé le suicide dès le 19e siècle. A l’inverse, l’Angleterre et ses colonies ont conservé très longtemps la notion d’Ancien Régime qui faisait de la mort volontaire une transgression criminelle de l’ordre politique et religieux. Le droit pénal canadien est encore marqué par cet héritage puisque ce n’est qu’en 1972 que le Code criminel du Canada a abrogé la pénalisation du suicide. L’assistance au suicide reste passible d’une peine maximale de quatorze ans de réclusion (art. 241). L’euthanasie est considérée comme un meurtre au premier ou au second degré et le code précise explicitement que le consentement d’une personne à se voir donner la mort est irrecevable. Certes, la contestation de de ces dispositions pénales archaïques n’est pas l’apanage du Québec et certaines affaires d’aide à mourir dans les autres provinces attestent de l’évolution des esprits dans un sens plus ouvert au droit des personnes à décider de leur mort. Cependant, comme le montre une décision récente d’une Cour d’appel cassant une décision libérale prise par un tribunal de Colombie britannique, le législateur fédéral semble bel et bien inflexible à ce sujet.

 En Suisse, l’assistance au suicide est permise lorsqu’elle relève d’un motif altruiste. L’euthanasie active directe reste sanctionnée mais au titre de l’homicide sur demande de la victime (art.114, Code pénal suisse), un délit bien moins grave que le meurtre. Est-ce à dire que nous n’avons rien à apprendre des progrès des législations libérales à travers le monde ? Au contraire, les controverses suisses récentes, comme celles liées aux critères d’accès à l’assistance au suicide adoptés par Exit et évoquées dans ce blog ou encore l’arrêt Gross de la Cour européenne des droits de l’homme, montrent que le flou législatif continue d’être un problème dans notre pays. Une législation positive, qui spécifie explicitement les conditions auxquelles l’assistance au suicide est acceptable et précise les droits et les devoirs de chaque personne impliquée dans l’aide à mourir est nécessaire. Elle devrait permettre d’assurer à tous, aux personnes en fin de vie comme aux professionnels de la santé, la sécurité juridique à laquelle ils ont droit.

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